Depuis le 12 février et l’échange téléphonique de quatre-vingt-dix minutes entre Donald Trump et Vladimir Poutine, il ne se passe pas un jour sans que l’administration américaine ne donne un signe qu’elle nous « nique » un peu plus, pour reprendre l’élégante expression utilisée par le président américain à propos de l’Union européenne – « The EU was formed in order to screw the US [l’UE a été créée pour niquer les Etats-Unis] », a-t-il affirmé – en appuyant son amabilité sur une falsification totale des faits historiques. De protecteurs du monde libre et de la sécurité de l’Europe, les Etats-Unis se sont retournés comme des crêpes pour se faire les avocats de notre agresseur.
D’un côté, Trump épouse jusqu’à s’aplatir toutes les demandes de Vladimir Poutine sur son appropriation de l’Ukraine. Il annonce le retrait des aides financières et militaires et du renseignement à Kiev, humilie le président Zelensky, organise des contacts avec ses opposants Petro Porochenko et Ioulia Timochenko, prépare l’expulsion des quelque 240 000 réfugiés ukrainiens ayant fui l’invasion russe. De l’autre, et simultanément, il met fin à la solidarité de l’Alliance atlantique, cet article 5 de l’Otan qui garantissait la paix sur notre continent. Le choc provoqué par la trahison des Etats-Unis à notre égard, leur lâchage ou leur « niquage », n’est pas dû seulement à Trump mais largement à nous-mêmes, infantilisés que nous fûmes collectivement, à des degrés divers, par le parapluie d’un oncle d’Amérique que l’on voulait croire éternel. Aujourd’hui, les Etats-Unis abandonnent l’Ukraine. Demain, ils abandonneront l’Europe. Nous voilà maintenant tout nus.
C’est notre moment copernicien. Si les Européens ne se révolutionnent pas pour assurer leur sécurité et leur défense, ils seront à leur tour dépecés et vassalisés par l’une des trois grandes puissances – Etats-Unis, Russie, Chine – qui ont décidé de se partager le monde. Emmanuel Macron, qui le martèle depuis son élection de 2017, l’a redit à la télévision le 5 mars dans une allocution solennelle et il est désormais suivi par la presque totalité des pays de l’UE. Le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, a déclaré devant le Bundestag que l’Allemagne et ses alliés devaient se préparer à ce que la Russie attaque un pays de l’Otan dès 2026, ciblant potentiellement les Etats baltes et la Finlande. Les services de renseignement de divers pays européens confirment la préparation du scénario. Lors d’un conseil extraordinaire organisé le 6 mars à Bruxelles en présence de Volodymyr Zelensky, les Vingt-Sept ont envoyé à Washington et à Moscou un message de détermination.
La révolution copernicienne a commencé en Europe
Ils ont adopté le plan « Réarmer l’Europe », visant à débloquer 800 milliards d’euros, qui, pour l’instant, repose largement sur les Etats membres : la Commission propose d’emprunter 150 milliards, prêtés ensuite aux Etats souhaitant investir dans leur défense. Le stade supérieur espéré serait un grand emprunt commun, sur le modèle de celui contracté lors de la pandémie de Covid. Le plan validé assouplit les règles de l’UE en excluant des déficits publics les dépenses militaires et liste les domaines à investir en priorité (systèmes de défense aérienne, missiles, artillerie, drones…). Ce renforcement des capacités sécuritaires sera destiné en partie à l’Ukraine.
La révolution copernicienne a commencé en Europe. Non seulement parce que l’UE est en train de se doter d’une défense commune, mais parce que les Européens ont compris, sous l’égide d’Emmanuel Macron et du Premier ministre britannique, Keir Starmer, que l’Europe ne se limitait plus au cadre de l’UE. Une coalition de pays volontaires capables de déployer une armée s’organise autour des membres européens de l’Otan et de l’Ukraine. La réticence d’un Viktor Orbán, cheval de Troie de Poutine et de Trump en Europe (le Premier ministre nationaliste hongrois est le seul à n’avoir pas validé l’appui à Kiev) ne peut ainsi plus suffire à bloquer la dynamique européenne par ses menaces de veto lors des votes à l’unanimité.
Serons-nous capables ou non, dans l’immédiat, de suppléer les Etats-Unis dans l’aide à l’Ukraine ? Serons-nous capables, à plus long terme, de nous défendre nous-mêmes ? Le moment de vérité sur la capacité ou l’impuissance des Européens à se protéger seuls contre la menace russe aura lieu dans les mois qui viennent. La réponse est fragile. Mais elle existe enfin. Aux armes, citoyens européens !
Marion van Renterghem est grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres et auteure du “Piège Nord Stream” (Arènes)
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Author : Marion Van Renterghem
Publish date : 2025-03-11 15:00:00
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