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Luc Remont quitte EDF : la fin d’un PDG victime de son jusqu’au boutisme

Luc Remont quitte EDF : la fin d’un PDG victime de son jusqu’au boutisme

« Un choc politique majeur », confie un spécialiste de l’énergie. « Une mauvaise nouvelle pour EDF et pour le pays », ajoute un autre. Le non-renouvellement de Luc Rémont à la tête d’EDF, annoncé par le média Contexte, n’a pas fini de faire des vagues dans le milieu. Depuis plusieurs semaines, on sentait le coup venir. En décidant de vendre une partie de son électricité aux enchères sans avoir calé au préalable une offre privilégiée pour les grands industriels français, Luc Rémont avait, en quelque sorte, franchi la ligne rouge. Jusqu’au bout, cet ingénieur de formation, nommé en décembre 2022, aura défendu sa vision de l’entreprise. Celle dans laquelle le géant français de l’énergie sécurise suffisamment de ressources financières pour l’avenir, après une décennie difficile et une situation proche du K.-O. en 2022.

Comme d’autres patrons avant lui, Luc Rémont quitte EDF en dépit d’un bon bilan. Entre la situation du groupe à son arrivée et celle d’aujourd’hui, le contraste est saisissant. La production d’électricité a retrouvé des couleurs, en dépit de la fermeture de la centrale de Fessenheim. Avec 89 térawattheures (TWh) d’exportations nettes en 2024, la France a battu son record historique (77 TWh) datant de 2002. Certes, EDF a raté un virage dans le développement des SMR, les petits réacteurs nucléaires. Mais la course n’est pas encore perdue. Et pour les nombreux défenseurs de Luc Rémont, cet accroc entache à peine son bilan.

« Beaucoup ont pensé, au départ, que le costume était un peu trop grand pour lui ; ils ont été agréablement surpris par sa personnalité, par la vision qu’il pouvait avoir, par sa capacité de résistance face à l’Etat actionnaire alors que ce dernier est redevenu actionnaire unique », juge un observateur dans l’étude Sphère publique VcomV, sortie au printemps dernier. « D’aucuns pensaient qu’il serait un bon exécutant ; ils ont été servis car on n’a jamais connu un dirigeant d’EDF défendant aussi farouchement les intérêts d’EDF », glisse un autre.

« La relation entre le président d’EDF et l’Etat, c’est un feuilleton à lui tout seul depuis 1946 », rappelle Alexandre Grillat, secrétaire général de la CFE Énergies. Déjà en 2009, Pierre Gadonneix n’avait pas hésité à dire que le niveau des tarifs de l’électricité était inférieur de 20 % à ce qu’était la réalité des coûts. Pour lui, la conclusion était évidente : il fallait relever les prix d’autant. Impensable pour l’Etat ! Le message serait très mal passé auprès des consommateurs et donc des électeurs. Le gouvernement avait alors décidé de ne pas renouveler le mandat du patron.

La même partition se rejoue

Henri Proglio fera lui aussi les frais de ce genre d’arbitrage en 2014. Le dirigeant termine pourtant son mandat avec deux grosses commandes d’EPR (Hinkley Point) au Royaume-Uni. Mais ses tractations en solo avec la Chine ne passent pas auprès des pouvoirs publics, habitués à donner des missions précises à EDF.

« Depuis des années, la même partition se rejoue », déplore Alexandre Grillat. L’Etat ne comprend pas que même détenue à 100 %, EDF demeure une entreprise. Et que les salariés d’EDF attendent de leur président qu’il défende les intérêts de celle-ci ». Sous-entendu : le seul et unique but d’EDF ne peut pas être de faire des « prix d’ami » aux industriels.

« Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage », dit le proverbe. « En vérité, EDF demande aux industriels une contribution financière à l’investissement de départ [NDLR : sur les nouveaux réacteurs], ce qu’ils hésitent à faire », explique Hervé Machenaud, ancien directeur exécutif de la maison. Certains industriels anticipent aussi une baisse future des prix de l’électricité liée à une surproduction probable en raison du maintien du nucléaire et de l’essor rapide des énergies renouvelables. Ils en jouent aujourd’hui dans les négociations avec EDF.

« Depuis trente ans, la question des prix de l’électricité est extrêmement politisée. De sorte que les tarifs sont restés pendant longtemps en dessous des réalités économiques », déplore Hervé Machenaud. Pour ajouter aux difficultés, certains industriels, qui n’ont pas réellement besoin d’être aidés, feraient « du chantage à l’emploi, histoire de faire plier les ministres ».

Le jusqu’au-boutisme de Luc Rémont sur ces questions lui a coûté sa place. Bernard Fontana, l’actuel patron de Framatome, a été proposé par Emmanuel Macron pour lui succéder, les commissions parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale devant valider sa désignation. Saura-t-il naviguer entre les exigences de l’Etat et les besoins réels d’EDF ? « Je l’ai rencontré et je le trouve très habile, glisse Fabien Bouglé, auteur de Guerre de l’énergie, publié aux éditions du Rocher. C’est l’homme de la situation dans la guerre mondiale de l’énergie. Framatome a été la cible des républicains américains. Il a la trempe pour prendre les rênes d’EDF. »



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Author : Sébastien Julian

Publish date : 2025-03-21 18:40:00

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