Le jugement est tombé sans que Marine Le Pen ne l’écoute jusqu’au bout : le 31 mars, la députée du Pas-de-Calais a été condamnée dans l’affaire des assistants parlementaires du Rassemblement national (RN) à une peine d’emprisonnement de quatre ans, dont deux fermes aménagés sous bracelet électronique, ainsi que cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire – ce qui l’exclut, pour le moment, de l’élection présidentielle 2027. Pour justifier cette immédiateté dans l’exécution de la peine, la présidente du tribunal a notamment souligné « la gravité des faits », mis en avant « leur nature systémique », « leur durée », et le « montant des fonds détournés » – le préjudice total est estimé à plus de 4 millions d’euros.
Surtout, alors que les accusés n’ont exprimé, ni pendant l’enquête, ni pendant le procès, « aucune prise de conscience de la violation de la loi qu’elles ont commise, ni a fortiori de l’exigence particulière de probité et d’exemplarité qui s’attache aux élus », écrivent les juges, le tribunal indique craindre « un risque de récidive ». Concernant Marine Le Pen, les juges évoquent par ailleurs le risque d’un « trouble irréparable à l’ordre public démocratique qu’engendrerait le fait qu’elle soit candidate, voire élue […], alors qu’elle est condamnée pour détournement de fonds publics ». Un risque qui l’emporte, selon les magistrats, sur celui que son inéligibilité soit annulée en appel.
Un argumentaire contre lequel s’est indignée Marine Le Pen, qui a dénoncé le soir même une « décision politique » et la « violation de l’État de droit ». Au-delà du RN, le principe même de l’exécution provisoire de cette peine – qui n’est pas automatique et dépend de l’appréciation du juge – suscite le débat dans l’opinion publique. Dans la communauté des magistrats, beaucoup moins. Tous les professionnels interrogés par L’Express font bloc autour du jugement. « L’exécution provisoire est un outil que l’on choisit ou non d’utiliser, en fonction notamment de la gravité des faits, du comportement des prévenus à l’audience – s’ils nient ou non les faits, par exemple -, et donc de la possibilité de récidive », explique Aurélien Martini, secrétaire adjoint de l’Union syndicale des magistrats (USM). Il rappelle que cette décision, qui doit être votée par au moins deux juges sur trois, n’est pas rare. Selon les statistiques du ministère de la Justice, elle concernait 58 % des peines d’emprisonnement ferme en 2023.
Un débat « tranché à l’Assemblée »
Les conséquences politiques d’une telle décision, alors même que Marine Le Pen atteint jusqu’à 37 % d’intention de vote au premier tour de l’élection présidentielle 2027, doivent-elles être prises en compte dans une telle décision ? Sur les infractions d’atteinte à la probité, de corruption ou de détournement de fonds public, qui visent particulièrement des personnalités publiques et politiques – potentiellement candidates à différents mandats -, Aurélien Martini rappelle que la loi prévoit qu’elles soient condamnées automatiquement à des peines d’inéligibilité, avec la possibilité d’une exécution provisoire. « Lorsque les parlementaires ont adopté cette loi, ils ont envisagé explicitement qu’il pourrait y avoir des conséquences politiques très fortes pour les personnes condamnées. Ce débat a été tranché à l’Assemblée nationale, et n’a pas lieu d’être dans une salle d’audience », estime-t-il. Avant d’interroger : « Si on commence à prendre en compte la popularité de Marine Le Pen dans les élections à venir et son agenda politique en considérant que cela devrait de fait exclure une éventuelle exécution provisoire, où s’arrête-t-on ? ».
Frédéric Macé, président de l’Association française des magistrats instructeurs (AFMI), abonde : « Les juges ont pris soin d’individualiser la peine en prenant en compte l’accumulation des faits, et non les possibles conséquences politiques de leur décision. Les magistrats ne doivent pas succomber aux pressions internes ou externes, ni à la clameur publique. C’est fondamental, sans quoi ils sortiraient justement de leur office d’indépendance », fait-il valoir.
« On peut bien sûr débattre de la sévérité d’une condamnation, mais il faut rappeler qu’elle est appliquée en fonction de la loi. Si la loi ne convient pas aux députés tels qu’ils l’ont votée, il faudra avoir le courage d’aller au bout de leur raisonnement, et en voter une autre. Avec toutes les conséquences que cela implique », souligne de son côté Ludovic Friat, président de l’USM. « Il y a sans doute un débat sur la manière de motiver l’exécution provisoire, notamment parce qu’il y a un enjeu politique sur cette candidate », admet de son côté Béatrice Brugère, secrétaire générale du syndicat Unité Magistrats-FO. « Mais on en oublierait presque les faits commis, et le fait que ce sont les politiques eux-mêmes qui ont voté la loi aujourd’hui appliquée », estime-t-elle, s’inquiétant d’un « écosystème général contre les juges lorsque la société n’est pas d’accord avec le jugement rendu ». « Il faut désormais sortir de cette impasse, avec peut-être une pédagogie et une communication adaptées, sans céder à la fureur du débat », conclut la magistrate.
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Author : Céline Delbecque
Publish date : 2025-04-02 14:00:00
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