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Ménopause : « On a trop longtemps mis de côté les traitements hormonaux »

Ménopause : « On a trop longtemps mis de côté les traitements hormonaux »

Il n’y a pas, en France, plus grande défenseure des traitements hormonaux contre les symptômes de la ménopause que Florence Trémollières. Depuis des années, cette influente endocrinologue, responsable de service au CHU de Toulouse, appelle, sans détours, à augmenter le recours à ces substituts d’œstrogène et de progestérone. Seule solution, dit-elle, pour calmer les conséquences parfois très sévères associées à l’arrêt des menstruations, qui handicapent jusqu’à 25 % des femmes.

Un discours de plus en plus populaire, mais qui hérisse une bonne partie de la communauté médicale. De nombreux médecins craignent que ces remèdes ne fassent plus de mal que de bien, à cause du risque de développer plusieurs pathologies associées à leur consommation. Propos « rassuristes », « lien d’intérêt » avec l’industrie pharmaceutique… La scientifique a accepté de répondre aux critiques et d’expliquer ce qui fonde sa position. Entretien.

L’Express : Il y a un peu plus d’un an, vous avez été contactée par l’Elysée pour participer au grand rapport parlementaire sur la ménopause commandé par Emmanuel Macron, et remis le 9 avril dernier au gouvernement. Pourquoi vous ?

Florence Trémollières : Il faut leur demander ! J’ai moi-même été surprise de l’initiative. En quarante ans de carrière, je n’avais eu jusqu’à présent aucun contact avec aucun gouvernement, ou ne serait-ce qu’avec les agences de santé. J’imagine que mon expérience a séduit les équipes du président de la République. Ce qu’on fait, au CHU de Toulouse, est unique en France : il n’existe aucun autre service hospitalo-universitaire dédié à la ménopause. Nous avons accompagné plus de 100 000 patientes, donc forcément, notre activité n’est pas passée inaperçue.

Quel a été votre rôle ?

J’ai été la première auditionnée par la rapporteuse Stéphanie Rist (Ensemble pour la République). Les parlementaires sont ensuite venus pendant 48 heures dans mon centre, pour savoir comment nous recevons nos patientes, comment nous nous organisons. Enfin, j’ai également fourni certains éléments de la littérature, et relu les passages scientifiques du rapport.

Le document préconise principalement une meilleure information sur le sujet, une meilleure prise en charge médicale, et dans le monde du travail. Est-ce que cela correspond à vos attentes ?

En partie. Je rencontre tous les jours des patientes désarmées, dépourvues de solutions. Il fallait mettre le sujet sur la table, et valoriser les personnes qui y travaillent. C’est déjà très positif. Mais j’avais énoncé trois objectifs à Stéphanie Rist. Faciliter l’information, proposer des initiatives pour former les médecins qui ignorent trop souvent tout du sujet, mais aussi réhabiliter les traitements hormonaux de la ménopause, ce qui n’a pas été traité comme tel. De ce que je comprends, il faudra attendre l’avis de la Haute autorité de santé, prévu pour le début de l’année 2026, pour que le gouvernement se positionne.

Pourquoi vouloir réhabiliter les traitements, alors qu’ils augmentent le risque de cancer et de maladies cardiovasculaires ?

Les traitements hormonaux ont une très longue histoire. C’est peut-être l’une des familles de médicaments les plus portées aux nues, puis aux gémonies. Dans les années 1990, ils avaient aux Etats-Unis une réputation de fontaine de jouvence, grandement influencée par l’industrie pharmaceutique. On mettait en avant leurs bénéfices sur les bouffées de chaleur, les insomnies et les humeurs liées à la ménopause, bien sûr, mais aussi un effet protecteur contre le risque d’accident cardiovasculaire ou d’ostéoporose par exemple.

Une femme sur quatre trouvera, selon moi, un bénéfice plus fort que le risque associé

Puis, dans les années 2000, c’est l’inverse qui s’est produit, avec la sortie d’une étude appelée « Women’s Health Initiative » (WHI), qui a montré des risques cardiovasculaires et de cancer du sein plus importants chez les femmes traitées. C’est une étude sur un grand groupe de population, avec des milliers de volontaires, contrôlée et randomisée, soit un très haut niveau de preuve. Mais elle inclut surtout des femmes plutôt âgées, donc naturellement plus à risque de ces pathologies. Qui plus est, l’étude portait sur des molécules synthétiques distribuées surtout aux Etats-Unis, et pas en France. Mais ses résultats ont quand même été un séisme.

Depuis, plus personne en France n’a voulu prescrire ou bénéficier des traitements. C’est ce que montre le rapport parlementaire : le taux de prescription a chuté pour atteindre 2,5 %. La situation n’a pas évolué depuis, car aucune autre étude de ce niveau de preuve n’a été menée. Mais je suis convaincue que plus de femmes pourraient bénéficier de ces médicaments. On a trop longtemps mis de côté les traitements hormonaux contre la ménopause (THM). Les risques sont relativement faibles, les souffrances des femmes peuvent être très fortes et nuire gravement à leur qualité de vie. Qui plus est, il ne faut pas oublier qu’il y a aussi ces effets protecteurs.

D’autres études ont ensuite montré des risques avec les traitements utilisés en France… Pourquoi se concentrer sur celle du WHI pour appuyer votre réhabilitation ?

Parce que les résultats de cette étude ont été extrapolés pour toutes les femmes sans prendre en considération leur âge ou leur ancienneté de ménopause et pour tous les THMs. C’est une aberration scientifique ! Oui il y a d’autres études qui ont mis en avant une augmentation du risque de cancer du sein, mais il s’agit principalement d’études d’observation, donc potentiellement grevées de biais….

Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de risques. Le véritable problème, selon les épidémiologistes, c’est qu’il est difficile de faire la part des choses au niveau individuel. A combien de femmes donner ces traitements, comment identifier celles chez qui le bénéfice sera supérieur au risque ?

Il va être difficile d’obtenir un pourcentage précis, ou le nombre de femmes exact à qui il faut donner ces médicaments. C’est une situation laissée sans réponse par la science. D’après mon expérience de terrain, qui n’a que peu de valeur scientifique, on peut estimer qu’une femme sur quatre ne doit absolument pas en prendre, en raison de contre-indications claires, comme des antécédents de cancer ou cardiaques, ou de symptômes qui ne nécessitent pas une telle intervention hormonale. A l’inverse, une femme sur quatre trouvera, selon moi, un bénéfice plus fort que le risque associé, en raison du soulagement obtenu, et des effets protecteurs. Le reste des patientes se trouve probablement dans un entre-deux. Si le traitement intervient au début de la ménopause, c’est-à-dire au moment où les traitements sont les moins à risque, alors il faut, à mon avis, laisser le choix à la patiente. C’est à elle de nous dire son appréciation, en fonction du retentissement des symptômes, et de sa situation générale.

Vous allez jusqu’à affirmer que les traitements hormonaux réduisent de « 30 % » la mortalité. Ce n’est pourtant pas l’avis des épidémiologistes, qui considèrent que ces données sont très fragiles, et inexploitables…

Les données ne sont pas si fragiles que cela ! La cohorte centrale quand on parle des risques, la « WHI », montre bien une réduction de 30 % de la mortalité dans le sous-groupe de femmes âgées de 50-59 ans [NDLR : sur un échantillon de 168 cas, ce qui fait de ce résultat une donnée très peu robuste]. Il y a une concordance de toutes les études épidémiologiques dites d’observation, qui retrouvent toutes une diminution de la mortalité globale et notamment cardiovasculaire chez les femmes dont le THM a été initié en début de ménopause, si l’on isole les femmes entre 50 et 60 ans.

Ce sont des analyses faites a posteriori, ce qui, je le reconnais, n’est pas la meilleure méthodologie. Pour démontrer une réelle diminution de la mortalité chez les femmes en début de ménopause sur une durée suffisamment longue pour ne pas être remise en cause, le nombre de femmes à inclure serait énorme et le coût financier d’une telle étude quasiment irréalisable ! Nous ne l’aurons dons certainement jamais…

Certains scientifiques affirment en privé que vous êtes trop proche de l’industrie pour avoir un avis libre…

C’est vrai, je reçois des milliers d’euros par an de la part des fabricants d’hormones, notamment pour qu’ils bénéficient de mon expertise. Mais vous savez, je reçois une somme équivalente de la part de leurs concurrents, des laboratoires qui tentent de fabriquer des médicaments sans hormones par exemple. A partir du moment où vous êtes reconnue en tant qu’experte sur un sujet, l’industrie vous sollicite, car elle a besoin de votre regard. C’est un fonctionnement courant, et d’ailleurs, dans les petits domaines d’études comme celui de la ménopause, aucun expert compétent n’a pas un jour collaboré avec l’industrie. Je suis rémunérée pour des conférences scientifiques sponsorisées par l’industrie, mais je refuse en revanche de faire la promotion d’un médicament. Je ne suis ni une prescriptrice à tout va, ni assujettie à aucun laboratoire en particulier. Tout est déclaré sur le site transparence.santé.gouv.fr. Mes liens d’intérêts n’ont pas empêché les dirigeants et les institutions de faire appel à moi jusqu’à présent.

Entendez-vous tout de même ceux qui voudraient qu’une voix sans lien d’intérêt avec l’industrie soit choisie pour porter ces sujets ?

Oui, c’est une question difficile, et classique en science. Ce que je regrette, c’est le côté « tous vendus, tous pourris » ! Aux Etats-Unis, les experts se glorifient d’être sollicités par l’industrie. Ici, il faudrait se cacher. Jugez-moi sur mon parcours et sur ce que je dis, pas sur mes collaborations scientifiques.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux symptômes de la ménopause ?

Au début de ma carrière, je travaillais sur l’ostéoporose, cette pathologie qui modifie la densité osseuse et augmente le risque de fractures. A l’époque, mon supérieur et formateur, Claude Ribot, a développé un outil pour améliorer le dépistage de cette maladie, qui permettait de savoir très rapidement où en était la dégradation des os. Grâce à lui, nous avons participé à mettre en évidence le lien entre ce phénomène et la ménopause.

Nous avons montré que les hormones comme l’œstrogène jouaient un rôle important dans le « capital osseux ». Par la force des choses, j’ai fini par me spécialiser dans la prise en charge de personnes durant cette période charnière de leur vie, et pris la succession de Claude Ribot, dans le service dédié qu’il a créé en 1986.

Pourquoi ce service n’a-t-il pas fait d’émules ailleurs en France ?

Il ne faut pas se leurrer, pendant très longtemps, la question des symptômes liés à la ménopause n’a intéressé personne, à cause d’un manque d’information sur le sujet, et d’une forme de tabou, parfois nourri par des stéréotypes sexistes. Qui plus est, les personnes en responsabilité dans les centres hospitalo-universitaires sont des hommes qui ne sont pas confrontés au problème. Et enfin, cela n’est pas très stratégique pour un établissement de se lancer dans l’accompagnement de la ménopause, car il s’agit surtout d’une activité de conseil, de consultation.



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Author : Antoine Beau

Publish date : 2025-04-15 17:30:00

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