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Le jeu dangereux de Donald Trump avec la Fed : « Tout le système financier serait secoué »

Le jeu dangereux de Donald Trump avec la Fed : « Tout le système financier serait secoué »

Que le temps passe vite en politique. C’est d’autant plus vrai de l’autre côté de l’Atlantique. En novembre 2017, Donald Trump choisissait sans surprise Jerome Powell pour prendre la succession de Janet Yellen à la tête de la Fed. « Je suis confiant dans le fait que « Jay » a la sagesse et le leadership pour guider notre économie », déclarait, alors, confiant, le président américain, lors de la conférence de presse annonçant la nomination. A ses côtés, l’ancien banquier d’investissement, membre du conseil des gouverneurs de la banque centrale des Etats-Unis depuis 2012, était loin de se douter que tout allait basculer.

Car huit ans plus tard, le torchon brûle entre le locataire de la Maison-Blanche et le patron de l’institution financière la plus scrutée de la planète. Ces derniers jours, Donald Trump a multiplié les attaques envers Jerome Powell, au point de menacer de le limoger. Tout ce qui porte atteinte à la Fed n’est pas de nature à rassurer les marchés qui réagissent au quart de tour. Pour calmer le jeu, le milliardaire américain a affirmé, mardi 22 avril, qu’il ne comptait pas aller au bout de sa démarche. Depuis le début de son second mandat, Donald Trump a montré, à plusieurs reprises, qu’il n’était pas inflexible. Chute des cours de Bourse et hausse des rendements obligataires lui ont servi de thermomètre, que ce soit en matière de politique commerciale ou dans son attitude vis-à-vis du banquier central.

Donald Trump n’a plus de limites

Mais voilà, le mal est fait. Car que vaut vraiment la parole du dirigeant républicain ? Donald Trump n’a probablement pas abandonné l’idée de prendre le contrôle de la Fed d’une manière ou d’une autre. « Mon intuition est qu’il cherche à obtenir le pouvoir partout, y compris sur la Réserve fédérale. Il la perçoit comme un outil stratégique, un bras armé financier qu’il pourrait mobiliser pour intervenir dans les secteurs économiques qu’il juge prioritaires. C’est une logique qui rappelle celle des Etats avant les années 1990, quand les banques centrales étaient encore directement subordonnées au pouvoir politique, finançant les projets décidés par le chef du gouvernement », observe l’économiste Estelle Brack, spécialiste des questions bancaires et financières.

Et contrairement à 2016-2020, Donald Trump ne semble plus avoir de limites. « Il avait déjà manifesté cette intention lors de son premier mandat. Ce n’est donc pas une surprise totale. Ce qui change aujourd’hui, c’est son agressivité accrue. Il est moins entouré de voix modérées ou expérimentées pour freiner ses ardeurs. Il est donc d’autant plus susceptible de pousser plus loin son offensive, faute d’opposition interne pour l’en dissuader », souligne Alan S. Binder, professeur d’économie à l’Université de Princeton et ancien vice-président de la Fed.

Une décision attendue de la Cour suprême

En attendant, Jerome Powell n’a pas cédé. Donald Trump réclamait pourtant avec insistance qu’il baisse les taux d’intérêt afin de redonner de l’air aux consommateurs américains et de prévenir une crise plus profonde. Une stratégie pour le moins paradoxale. « Le président prend conscience que ses droits de douane et sa gestion chaotique de l’économie pourraient précipiter une récession. Une baisse des taux d’intérêt pourrait aider à l’éviter, mais cette stratégie donnerait lieu à un regain d’inflation », estime Barry Eichengreen, économiste à Berkeley.

Dans le passé, Lyndon B. Johnson, Richard Nixon ou encore Ronald Reagan ont tous exercé des pressions sur la Fed afin qu’elle assouplisse sa politique monétaire avant les élections. « C’est une posture assez classique, note Alan S. Blinder. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est de voir un président exprimer ouvertement cette opinion. Jusqu’ici, les chefs d’Etat gardaient leurs critiques pour eux. Ils ne s’en prenaient pas publiquement au dirigeant de la Réserve fédérale et tout se déroulait en coulisses. Mais Donald Trump, lui, ne s’embarrasse pas ». Au point de placer la Fed dans une position intenable. « Suivre le diagnostic économique de Donald Trump pourrait passer pour un acte de soumission à la pression politique. Ne pas réagir risquerait d’ignorer la réalité conjoncturelle. La banque centrale se retrouve ainsi piégée », analyse Bob McCauley, chercheur principal non-résident au Global Development Policy Center de l’université de Boston et ancien conseiller principal à la Banque des règlements internationaux.

Légalement, Donald Trump n’a en théorie pas les moyens de révoquer Jerome Powell dont le mandat court jusqu’en mai 2026. Un arrêt de la Cour suprême de 1935 autorise le président des Etats-Unis à licencier les dirigeants des agences fédérales indépendantes seulement en cas de négligence ou de faute. Mais la plus haute juridiction américaine pourrait prochainement réviser cette jurisprudence après avoir été saisie par Donald Trump. Ce dernier souhaite qu’elle approuve son choix de révoquer deux membres du National Labor Relations Board et du Merit Systems Protection Board. Reste à savoir si la Cour suprême jugera que la Fed doit être considérée comme une agence fédérale classique. A défaut, le président aurait le pouvoir de démettre Jerome Powell de ses fonctions.

Une décision à ne pas prendre à la légère. « Il est difficile de comprendre la logique de Donald Trump, car le gain exact qu’il en retirerait reste flou, pointe Bob McCauley. Chercher à évincer Jerome Powell soulèverait de nombreuses complications. La démarche risquerait de provoquer plus de troubles qu’elle n’en résoudrait ». Pour Alan S. Binder, « une remise en cause de l’indépendance de la Fed aurait des conséquences majeures. C’est tout le système financier qui serait secoué ». Le scénario du pire pour une économie mondiale déjà fragilisée.



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Author : Thibault Marotte

Publish date : 2025-04-24 05:00:00

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