L’Express

« La soif de honte », de Nicolas Bedos : anatomie d’une chute, par Abnousse Shalmani

« La soif de honte », de Nicolas Bedos : anatomie d’une chute, par Abnousse Shalmani

Que pardonner ? Qui pardonner ? Et pour quoi faire ? Et à quoi bon ? D’abord, qui possède ce pouvoir d’absolution ? Et que faire de ce pardon quand personne ne le réclame ? La Soif de honte, de Nicolas Bedos, n’est ni un plaidoyer pour sauver ce qui reste de sa peau sociale et professionnelle, ni pamphlet contre un néoféminisme qui refuse toute graduation, toute ambiguïté, toute singularité. Chaque homme sur le banc des accusés doit payer pour tous les hommes, chaque accusé, quel que soit le degré de culpabilité, est un représentant du patriarcat meurtrier.

Mais Nicolas Bedos préfère ausculter le comment. Comment il en est arrivé là, sur le banc des accusés puis condamné ; comment lui, « fils de », parvenu à être plus doué que le père, à la plume, au théâtre, au cinéma, à la télévision, figure incontournable du monde médiatico-artistique, transgressif et généreux, autodestructeur et maniaque, a fini par s’échouer dans le désert des parias.

Sa demi-soeur, son enfance, son succès fulgurant

Il y a toujours une enfance qui grince, même heureuse. Celle-là, elle est habitée par un déficit d’affection faite à une autre, une demi-sœur, qui lance « ta naissance a gâché ma vie » et qui s’enfonce dans les ténèbres de la schizophrénie. Cela ne justifie rien. Il y a un père et une marraine écrasants d’exigences, de certitudes, de presque cruauté, qui à force de faire courir l’adolescent vers leur lumière, le précipite vers la bouteille désinhibitrice pour l’illusion d’avoir de l’esprit à table. Cela ne justifie rien. Il y a un dégoût du corps de l’autre, des pieds particulièrement, la crainte de l’imparfait peut-être mais besoin compulsif sûrement de ne pas être déçu et la bouteille réapparaît pour donner du cœur à l’ouvrage qui en perd sa mélodie dans le corps-à-corps mécanique à force d’être imbibé. Cela ne justifie rien.

Il y a une éducation à la liberté, il y a tous les mots, toutes les images à disposition, sans censure, sans interdit, pour savoir, pour apprendre, pour comprendre, pour être, quitte à être peuplé de grimaces et de brouillards, d’infinis et de gouffres. Cela ne justifie rien. Il y a un homme, un acteur célèbre qui tient par la « laisse de la cocaïne » un adolescent en demande et en perdition, qui use de son aura pour agresser au nom de la toute-puissance de son désir. Cela ne justifie rien. Il y a le succès fulgurant, les femmes, les hommes, les courtisans, la boulimie d’écrire, de paraître, le saltimbanque sait aussi sonder les âmes. Toute-puissance, noyade dans l’alcool qui transforme le jeune homme capable de se tenir et de faire rire en première partie en salaud intégral, mauvais, sanguin sagouin, qui bousille le mariage de son meilleur ami. Cela ne justifie rien. Il y a une femme, lumineuse et forte, elle a du cran Pauline, elle est loyale et croit en l’amour, elle tient debout, un enfant à venir, qui sera une fille, qui deviendra une femme, dans son ventre, à qui le livre s’adresse, pour qu’un jour elle comprenne – à défaut de pardonner. Cela justifie l’existence du livre de Nicolas Bedos.

« Trop tard »

La Soif de honte est un acte littéraire et cela justifie tout. Qui dit littérature dit ambivalence, zones grises, complexité de l’âme, croisée des chemins à en perdre le nord, contradictions, dialogues intérieurs sans complaisance, réflexions comme autant de tentatives de se rattacher au monde extérieur qui rejette, qui refuse, qui ne veut même plus entendre. « Trop tard » semble résonner à chaque page, mise en garde et mise à nu d’une trajectoire qui aurait pu, qui aurait dû être stoppée.

« Rassure-toi, petit homme, tu t’apprêtes à disposer d’une longue retraite anticipée pour gerber sur l’époque, la délation publique, la peine de mort sociale, l’effacement des œuvres, la lâcheté de la profession et l’opportunisme des médias », martèle le double de Bedos, sa conscience accusatrice. Ce qu’il ne fait même pas, choisissant plutôt de creuser les causes qui sont autant d’erreurs, le mal fait à tant de femmes, le mal fait à lui-même pour éponger une honte, un trou béant, là au fond de lui, qu’il regarde en face, sans se dédouaner, sans séduire, sans espérer davantage que de se réapproprier le récit d’une vie pillée par tant d’autres. C’est Bedos qui souligne. Ce n’est pas une coquetterie, c’est l’histoire d’un connard qui se demande comment et pourquoi.



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Author : Abnousse Shalmani

Publish date : 2025-05-14 14:00:00

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