Dans le flot de sujets, pour la plupart sans réelles annonces, abordés mardi soir sur TF1, Emmanuel Macron a fait part de sa volonté d’organiser une « conférence sociale » sur le financement du modèle social français. Pour le chef de l’Etat, celui-ci « repose trop sur le travail ». Objet politique inflammable, la réduction des dépenses sociales est presque tabou.
Des pistes existent, comme la mise en place d’une TVA sociale, qui permettrait de financer une partie du modèle par une taxe sur la consommation. Pour l’économiste Guillaume Bazot, professeur à l’Université d’Aix-Marseille, il faut surtout avoir le courage de s’attaquer aux retraites, sans quoi les entreprises françaises ne pourront pas gagner en compétitivité.
L’Express : Partagez-vous le constat d’Emmanuel Macron, selon lequel le financement de notre modèle social repose aujourd’hui trop sur le travail ?
Guillaume Bazot : Oui, complètement. Le travail est massivement taxé en France, c’est un fait. Cette fiscalité pèse sur la compétitivité des entreprises et réduit le pouvoir d’achat des travailleurs, d’autant plus que les gains de productivité qui compensaient en partie ce handicap sont aujourd’hui moins importants. Quand on regarde les données, notamment le coin fiscal [NDLR : l’écart entre ce que paie l’employeur et ce que reçoit le salarié], on voit bien que notre modèle repose de manière excessive sur la taxation du travail. Plus généralement, on taxe trop les facteurs de production, non seulement le travail mais aussi le capital productif, fortement imposé. Je parle ici du capital en tant que facteur de production, pas des patrimoines.
Comment sortir de ce schéma ?
Trois options s’offrent à nous. La première consiste à augmenter les impôts, mais on a atteint un point où cette piste ne rapporte plus vraiment et peut même nuire à l’économie. La deuxième serait de baisser les dépenses, ce qui me paraît être la meilleure solution. Cependant, réduire les dépenses sociales est politiquement explosif. Aucun responsable politique ne veut vraiment s’y attaquer. On raisonne en France en termes de coût politique, pas de coût économique. Tant que cette logique prévaudra, il est illusoire d’attendre des changements structurels sur ce terrain. Les dépenses sociales risquent donc de rester à un niveau très élevé encore longtemps.
La troisième solution, enfin, consiste à stimuler la croissance. L’idée est ici de transférer une partie de la fiscalité du travail vers la consommation. L’impôt sur le travail est l’un des plus distorsifs ; en réduisant sa charge, on améliore la compétitivité des entreprises tout en stimulant la production. En privilégiant une taxe sur la consommation, moins pénalisante pour la croissance, on espère à la fois relancer l’activité, réduire le déficit en pourcentage du PIB et contenir la dette publique.
Quel serait pour vous le meilleur levier ?
Baisser les dépenses sociales liées aux retraites. Mais peut-on encore parler de dépenses sociales quand on a des retraités dont le niveau de vie est supérieur à celui des actifs ? Le terme ne correspond plus à la réalité. C’est le moyen le plus efficace de faire baisser une fiscalité trop lourde sur le travail, de renforcer la compétitivité et de contenir le coût de notre système de protection. Mais politiquement, c’est quasiment impossible à mettre en oeuvre.
Le modèle fondé sur les cotisations sociales assises sur les salaires est-il devenu obsolète compte tenu de l’automatisation, de l’essor du travail indépendant et surtout du vieillissement de la population ?
Il aurait dû être repensé depuis longtemps. Quand nos voisins ont porté l’âge de départ à la retraite à 65 ou 67 ans – parfois il y a déjà quinze ans – la France, elle, est restée figée. C’est paradoxal : on parle beaucoup de planification, mais nos planificateurs n’ont rien anticipé. Résultat, on a quinze ans de retard. Et aujourd’hui, on se retrouve face à un mur. Continuer à faire reposer l’essentiel du financement de la protection sociale sur le travail, c’est foncer droit dedans. On ne peut plus augmenter les taxes. Le déficit public est déjà l’un des pires de l’Union européenne. La dette publique atteint des niveaux préoccupants. Les marchés commencent à s’inquiéter, nos partenaires aussi. Il faut réagir. Beaucoup de personnes sont encore dans le déni.
La TVA sociale, évoquée par Emmanuel Macron, serait-elle une piste pertinente ?
Je ne vois aucun signal indiquant une volonté de réduire sérieusement les dépenses sociales. On évoque des économies sur l’assurance chômage, mais c’est marginal. La meilleure solution reste alors la croissance. C’est sans doute le pari d’Emmanuel Macron, avec cette TVA sociale. Il sait très bien que taxer la consommation n’est pas populaire, mais il sait aussi que c’est moins impopulaire que de désindexer les retraites – qui serait pourtant, à mes yeux, la meilleure solution pour faire des économies, notamment en ciblant les pensions les plus élevées.
Comme cette option semble écartée, il mise sur la croissance. La TVA sociale permet de gagner en compétitivité : si le marché est suffisamment concurrentiel, la baisse des charges peut se traduire par une baisse des prix hors taxe d’où une hausse du prix de vente assez faible. À court terme, cette mesure peut stimuler l’activité notamment via la balance commerciale. Et sur le long terme, c’est cohérent économiquement : une taxe sur la consommation est moins distorsive qu’une taxe sur le travail. Donc, en théorie, ce transfert peut soutenir la croissance.
Pourra-t-on toucher un jour aux retraites ?
Tant qu’on ne s’attaque pas à ce tabou, aucune réforme ne sera vraiment efficace. Tout le monde dit que désindexer les retraites est politiquement impossible. Pourtant, les salaires des fonctionnaires ne sont pas systématiquement indexés, et personne ne s’en émeut. Mais pour les retraites du régime général, c’est différent. Le poids électoral des seniors est tel qu’on se retrouve dans une forme de gérontocratie.
Peut-être que le seul espoir, au fond, est qu’Emmanuel Macron, n’ayant plus à se représenter, puisse se permettre de faire ce qui lui semble économiquement le plus efficace, sans penser au coût électoral. Mais cette hypothèse est fragile, puisqu’il n’exclut pas une éventuelle candidature dans sept ans…
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Author : Thibault Marotte
Publish date : 2025-05-14 16:05:00
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