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Gérald Darmanin, la force intranquille : sa haine de Retailleau, ses doutes sur Philippe, ses colères

Gérald Darmanin, la force intranquille : sa haine de Retailleau, ses doutes sur Philippe, ses colères

De son propre aveu, il n’était qu’un « zombie ». Cet automne 2024, Gérald Darmanin traîne sa carcasse de mort-vivant à l’Assemblée nationale. Enfin, quand il daigne honorer de sa présence ces lénifiantes séances dans l’hémicycle. Le train est passé, il est resté à quai. Le quai ? Pour un autre. Pour lui, les mines de sel ou presque : simple député après la nomination de Michel Barnier à Matignon. C’est peu, quand on vient de sécuriser avec succès les Jeux olympiques, l’événement du siècle. C’est frugal, quand on a siégé sept ans au conseil des ministres.

Oh, il donne le change, avec le talent d’un acteur d’AB Productions. Entrer au gouvernement ? « Etre ministre avec Bruno Retailleau pour gagner Lille, je n’aurais pas fait cela avec Tourcoing », glisse-t-il alors à la députée du Nord Violaine Spillebout, pressentie pour l’Education et qui lorgne la mairie de Lille. Prière de le croire. Il s’amuse de cette séance de « torture » qu’il promet au Premier ministre, dépourvu d’assise parlementaire. Personne n’y croit. Il n’a aucune chambre pour se livrer à de tels sévices. La présidence du groupe Renaissance ? Engloutie par Gabriel Attal. Celle d’Horizons ? Il y a songé, en vain. Le « chien truffier », comme on aime dire en « Philippie », est bredouille. Des pistes, mais pas de gibier. Son offensive contre la politique fiscale de Michel Barnier le marginalise. « Ne te laisse pas entraîner par Gérald », conseille à l’époque un député Ensemble pour la République (EPR) à Gabriel Attal. Darmanin ? « Connais pas », tel est le mantra macroniste.

Au moins peut-il compter sur ses amis. Enfin, presque. « Mets une cravate et rase-toi », lui lance l’un d’eux, quand l’élu de Tourcoing surjoue sa différence avec l’élite bien née. Grâce à Marine Le Pen et Olivier Faure, il peut vite se rhabiller… Car avec la censure survient la délivrance. Barnier dehors ? Darmanin dedans. Il tente bien encore d’obtenir en décembre les Affaires étrangères auprès de François Bayrou, mais va pour la Justice. En être, coûte que coûte. Question existentielle. « Tu es resté trois mois non-ministre, ressenti trois ans », lui glisse le proche cité plus haut.

« Il fait feu de tout bois »

Le voici le teint frais. Ce sera donc la Justice. « La place Vendôme », dit-on magistralement. Pas les jardins de l’hôtel de Bourvallais et le sifflement des « merles, indivis entre le Ritz et le ministère » comme l’écrivait Jean Giraudoux, dont les ministres successifs s’enivrent depuis les fenêtres du bureau de Cambacérès. Non, « la place Vendôme » ; son faste, ses enseignes luxueuses, les belles Américaines, que le nouveau garde des Sceaux peut désormais admirer par la baie vitrée de son nouveau bureau du premier étage. Déménagement rime avec autonomie. Autonomie avec liberté. Liberté avec mégaphone. Il est des portefeuilles qui, traditionnellement, se veulent taiseux ; il est des traditions dont Gérald Darmanin se fiche éperdument. Qui a cru un seul instant qu’il se satisferait de ce ministère des micros trop souvent coupés ? Lui multiplie les 20 Heures.

Son style ne se négocie pas, ses décibels non plus. Pour « en être », il faut en dire, foi de Tourquennois. Un déplacement, une annonce. « Gérald a, comme toujours, mille fers au feu », sourit l’un de ses amis les plus proches ; l’un de ses collègues au gouvernement embraye : « Il fait feu de tout bois… Et cela participe à faire du mal à la vie politique de notre pays. » Bref, la chaleur grimpe, tant pis pour les sceaux de cire. Quand d’autres, devant l’attelage bringuebalant du socle commun, intériorisent leurs émotions, Darmanin intériorise la Justice. Un Beauvau bis. De la loi sur les narcotrafiquants à sa récente proposition de « révolution pénale », il joue sur la zone grise qui existe entre son ancien et son nouveau maroquin, qu’il tourne tout entier vers la sécurité des Français.

Jusqu’à donner des bouffées de chaleur à l’Elysée, quand l’équipe du président découvre au petit matin du 18 mai la une du JDD et la nouvelle idée du ministre d’Etat : la création d’un quartier de haute sécurité dans la future prison de Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane « afin de mettre hors d’état de nuire les profils les plus dangereux du narcotrafic » et les islamistes les plus radicalisés. Passe encore qu’il égratigne Emmanuel Macron dans l’émission Ambition intime en jurant que « tout le monde était contre » l’instauration du prélèvement à la source, « y compris le président ». Le grand chef, bien informé dans la minute, n’a pas apprécié l’élégance darmaniste, mais c’est de bonne guerre. Sauf que lâcher dans la nature la construction d’un bagne 2.0 proche de Cayenne… « Il fait du Darmanin grisé par les sondages. A ce niveau-là, Gérald, ce n’est plus du gros rouge qui tache, c’est de la villageoise qui vous fracasse le crâne », se gausse-t-on – a posteriori… – dans l’entourage du chef de l’Etat. Attendez, ce 18 mai, Bruno Retailleau ne sera-t-il pas élu président des Républicains ? Non, ce ne peut être qu’un hasard…

« Retailleau l’a fait oublier en un mois »

Il en faut plus pour émouvoir la droite. L’ancien patron des députés LR Olivier Marleix n’a pas pour habitude d’épargner le « traître » Darmanin, parti en Macronie dès 2017. « Rends les 30 deniers, Judas », s’amusait-il à lui lancer dans l’hémicycle. L’heure du grand pardon a sonné. Un jour de printemps, le député d’Eure-et-Loir vient à la rencontre du garde des Sceaux, en marge d’une séance à l’Assemblée. « Tu ne m’as pas convaincu à l’Intérieur. Mais là, chapeau. C’est la première fois depuis Albin Chalandon qu’on a un ministre de la Justice de droite. » Cela tombe bien, cela fait longtemps que la France n’a pas eu ministre de l’Intérieur aussi à droite. Cette gémellité idéologique sert les deux hommes, ravis de rompre avec la traditionnelle guerre Beauvau-Vendôme. Jusqu’à un certain point.

Gérald Darmanin ne manque pas d’humour. Il s’amuse un jour auprès d’un vieil ami de ces échos, parfois relayés par la presse, soulignant leur bonne entente. La convergence politique suffirait-elle ? Qui peut y croire… A bas bruit, une concurrence monte entre ces deux ambitieux aux cultures politiques antinomiques. L’hédoniste et l’ascète. « Darmanin hait Retailleau, car il lui bouffe la laine sur le dos, glisse un proche d’Edouard Philippe. Il l’a fait oublier en un mois, quand l’autre a donné quatre ans de sa vie à Beauvau. »

La méfiance règne. Le garde des Sceaux guette les faux pas de son collègue, confronté aux « contraintes » du réel après ses diatribes d’opposant. Il s’agace de sa guerre de communication contre l’Algérie. Bruno Retailleau, lui, peste en privé contre « les petits coups » de son prédécesseur. A Beauvau, on trépigne. Gérald, pourquoi t’appropries-tu à demi-mot l’arrestation au Maroc du commanditaire présumé d’une série d’enlèvements dans le milieu de la cryptomonnaie ? Les ministres de l’Intérieur des deux pays ont été en relation constante sur le sujet. La victoire du PSG en finale de Ligue des Champions accouche de violences ? Autour du Vendéen, on s’interroge sur la bienveillance de Vendôme dans la polémique qui suit. Comme si l’ancien ministre de l’Intérieur, marqué au fer rouge par les débordements en marge de la finale de la même compétition en 2022 à Saint-Denis, voulait partager ce fardeau. Non, merci ! Dès l’automne, à Beauvau, Bruno Retailleau avait évincé l’ex-directeur de cabinet de Gérald Darmanin, Alexandre Brugère, de la liste des candidats au poste de directeur général de la police : « C’est comme si je prenais mon petit déjeuner avec Darmanin chaque matin. » Un interlocuteur des deux hommes philosophe : « Les deux sont dans un état présidentiel, rivaux par essence. Tout succès de Retailleau fait mal à Darmanin. »

« S’il y a un trou de souris, je me faufile »

La présidentielle, parlons-en. Gérald Darmanin laisse entendre qu’il pourrait en être. Elle est après tout un concours, pas un examen. Il aime la comparer à une étape de montagne du Tour de France. Edouard Philippe est en tête ? Oui, mais pas si loin d’une poignée de poursuivants, qui n’ont pas le vent de face. Il estime en faire partie. « Il pense qu’il y a la place pour un retour de Sarkozy », note un récent confident. Une droite capable d’agréger des sociologies électorales diverses, comme l’avait fait le fondateur de LR en 2007. Cela tombe bien, Gérald Darmanin a baptisé son mouvement politique Populaires. Y croit-il vraiment ? La Macronie a réglé le cas Darmanin : le ministre de la Justice ne ferait que gonfler les muscles avant de se vendre au plus offrant. « Il veut juste peser », dit-on avec un brin de condescendance envers celui qu’on range en deuxième division. Cette stratégie n’est pas exclusive d’ambitions personnelles. « S’il y a un trou de souris, je me faufile dedans », a-t-il confié à un complice. Et puis, à quoi bon rallier Edouard Philippe, autre macroniste de droite ? « Quel intérêt à soutenir Edouard ? Il ne me nommera jamais Premier ministre, mon intérêt est d’y aller moi-même », a-t-il dit au même ami.

Il est tard ce vendredi 7 mars, les caméras du plateau n° 2 des Studios Rive Gauche sont éteintes, Gérald Darmanin quitte le sourire aux lèvres l’enregistrement de l’émission Quelle époque ! de Léa Salamé. Il n’est pas peu fier. Il y a des soirées comme celle-là où les vannes font mouche et la grâce vous touche. Est-ce les endorphines ? La dopamine ? Mais celui qui vient de passer au crible les hypothétiques candidats à la présidentielle s’empresse de téléphoner à un ami commun et soutien d’Edouard Philippe : « Tu verras demain soir, j’ai dit du bien d’Edouard ! » Le chef est prévenu : « Edouard, tu verras demain soir, Gérald dit du bien de toi ! » Douce atmosphère. Douce amitié. Quelle ne fut pas leur surprise en découvrant la séquence dite du « photocall ». Le maire du Havre sera-t-il le candidat du bloc central ? « Ce n’est pas à moi de le dire, il faut un projet d’abord… » Darmanin compte-t-il le soutenir ? « S’il ne s’impose pas naturellement, il faudra une primaire. […] Edouard Philippe est un copain, c’est grâce à lui que j’ai été ministre, j’ai beaucoup d’estime pour lui et pour sa famille, mais moi je ne fais pas de la politique pour mon pays parce que j’ai des copains. Qu’est-ce qu’il propose aux Français ? Et est-ce que je suis d’accord avec ça ? Ce sont deux questions intéressantes. » Devant leur poste, Philippe et sa petite troupe sont ébahis. « Ah, d’accord, ça ressemble à ça quand il dit du bien… », lâche, circonspect, l’ancien Premier ministre. Etait-ce une vacherie cynique taille XL ? Ou Darmanin pensait-il réellement avoir été délicieux avec son ami, celui qu’il a vu s’installer dans le bureau de Matignon en 2017 avant de s’esclaffer « Edouard, c’est un hold-up ! » ? Personne ne sait. Personne ne saura jamais.

« Le Darmanin, ça se manie avec précaution »

Quelqu’un a-t-il seulement déjà su comment fonctionne véritablement l’enfant du Nord ? « Le Darmanin, ça se manie avec précaution », s’amuse avec une certaine tendresse le ministre de la Fonction publique Laurent Marcangeli, ancien patron des députés philippistes à l’Assemblée. A qui s’adresser ? Au cerveau ? Au cœur ? Au bide ? Le deuxième et le troisième prennent (trop) souvent le pas sur le premier. Gérald Darmanin est un affectif. Un vrai. Un dur. Un extrémiste. Telle est sa force politique, pour s’entourer, créer des liens, des fidèles, des aventures. Telle est sa croix, aussi, et la jalousie, sa couronne d’épines. Lorsque Sébastien Lecornu, son « frère » disait-il, s’est retrouvé à deux reprises aux portes de Matignon, la pilule était difficile à avaler et les crachats aisés à catapulter en privé : « Seb Premier ministre ? Il ne faut pas déconner… » En septembre 2024, quand Maud Bregeon, farouche darmaniste, à deux doigts de porter des tee-shirts #Gérald2027, s’apprête à prendre le porte-parolat du gouvernement Barnier dont lui est un remarquable absent, la foudre tombe. Trois mois avec Barnier, c’est renoncer à dix ans avec Darmanin. Un vrai leader ne partage pas ses brebis. Prendre un centimètre de distance est déjà une trahison. Un intime résume : « Il a deux vrais défauts : le stress et la surréaction. Et je suis certain qu’au fond il en souffre… »

Darmanin sous-considéré ! Darmanin méprisé ! Mais Darmanin électrisé ! Il n’attendait que cela, une proposition en bonne et due forme pour 2027 de la part d’Edouard Philippe ; le yang de son yin pour une droite qui allierait enfin Séguin et Thatcher. Plusieurs confidents l’avaient pourtant prévenu : ce n’est rien comprendre à la psyché de ce Normand qui préférerait se couper une jambe plutôt que de se lier les mains. Et, au fond, ne le sait-il pas pertinemment ? Les philippistes apprennent à leurs dépens que le nordiste ne poireaute pas en silence. Ses gesticulations et ses coups de griffe les agacent, ses « moulinets avec ses bras et ses doigts sur les réseaux sociaux » les exaspèrent parfois… Mieux vaut, malgré tout, l’avoir avec que contre soi. « Gérald c’est une force intranquille : il est toujours dans le rapport de force, il ne sait pas dire pardon, mais c’est une force quand même. A combien de mecs il a foutu une balle pour Edouard… », chuchote un stratège du candidat déclaré. Quelques jours après l’épisode Quelle époque !, sur la scène du Lille Grand Palais pour clore le congrès de son parti Horizons, Edouard Philippe, qui n’est pas connu pour être un monstre de chaleur humaine et de papouilles, ouvre son discours par une déclaration rare : « Je suis frappé d’une assez piètre capacité à dire publiquement combien j’aime les gens. Je voudrais te dire, Gérald, combien je t’aime. »

Rappelez-vous, le cœur, le bide : Philippe sait boxer, mais également caresser là où il le faut. Cela n’a pas calmé les ardeurs du Tourquennois, mais appelons cela un investissement émotionnel. Les enchères peuvent commencer. Et le jeu de dupes continuer.



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Author : Paul Chaulet, Erwan Bruckert

Publish date : 2025-06-16 16:00:00

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