9 mai 2025. Ils défilent, tout sourire, sur un tapis rouge tendu au milieu de la majestueuse place Stanislas, à Nancy. Sous un soleil éclatant, entourés de la Garde républicaine, Emmanuel Macron et le Premier ministre polonais, Donald Tusk, s’apprêtent à signer un traité d’amitié historique. Au-delà du rapprochement symbolique, ils ouvrent la voie à une coopération renforcée.
Emmanuel Macron est désireux d’accroître l’influence française dans une région stratégique, à l’heure où l’engagement américain sur le continent semble s’inscrire en pointillé. Donald Tusk, revenu au pouvoir en 2023 après huit années de gouvernement nationaliste conservateur, espère quant à lui entériner le retour de la Pologne parmi les puissances qui comptent en Europe.
Mais trois semaines plus tard, le 1er juin, c’est bien le souverainiste Karol Nawrocki qui remporte le scrutin présidentiel polonais. Pour le camp pro-européen de Donald Tusk, c’est la douche froide. A l’aube de l’investiture du nouveau président, qui se tiendra le 6 août, les spéculations vont bon train. On redoute une cohabitation houleuse, la paralysie du gouvernement, voire sa chute prématurée.
A l’international, malgré ses pouvoirs limités, le président polonais pourrait être un partenaire difficile : critique à l’égard de l’intégration européenne, Karol Nawrocki s’est surtout attelé à développer des liens privilégiés avec la Maison-Blanche. Début mai, alors simple candidat, il a été reçu par Donald Trump dans le bureau Ovale, puis, quelques jours plus tard, Kristi Noem, secrétaire à la Sécurité intérieure des Etats-Unis, l’a encensé publiquement lors d’une visite en Pologne. « Ce sera un formidable président » s’est enthousiasmé Donald Trump sur sa plateforme Truth Social, le 24 juillet.
La relation a plutôt mal démarré
A l’inverse, Emmanuel Macron, au moment de transmettre ses félicitations, a appelé Nawrocki à « bâtir une Europe […] respectueuse de l’Etat de droit ». Une allusion directe à l’érosion de l’indépendance de la justice pendant les huit années de domination du parti conservateur, Droit et Justice (PiS), principal soutien de Nawrocki. Le message n’est pas passé inaperçu de ce côté-là du spectre politique. « Cette idiotie ne va pas aider à instaurer une bonne atmosphère », assène, amer, le député PiS Kacper Plazynski, qui connaît bien le nouveau locataire du palais présidentiel. « L’Elysée devrait plutôt insister sur notre histoire commune, Nawrocki est un historien de formation », glisse-t-il.
Un conseil qui pourrait s’avérer précieux compte tenu des nombreux intérêts de la France en Pologne. Car en signant le traité de Nancy, Paris renouvelle certes son engagement à protéger Varsovie en cas d’agression, dans le cadre des accords de défense de l’Otan et l’UE, mais espère aussi décrocher des contrats. L’industrie de défense française lorgne tout particulièrement le marché polonais. Et pour cause, le pays consacre déjà 4,7 % de son PIB aux dépenses militaires.
Jusqu’ici, les commandes les plus importantes ont été passées auprès de fournisseurs américains et sud-coréens. Quitte, parfois, à tendre la relation bilatérale avec la France. En 2016, lorsqu’il était tout juste arrivé au pouvoir, le gouvernement nationaliste conservateur avait rompu un contrat de 50 hélicoptères Caracal d’Airbus, au profit de la concurrence américaine. « Des doutes sur l’offre d’Airbus avaient été émis dès le départ », tempère aujourd’hui le député Marcin Ociepa, qui rappelle, en contrepoint, l’achat de deux satellites français en décembre 2022, lorsqu’il était secrétaire d’État au ministère de la Défense.
Place à l’avenir. « Les entreprises françaises ont toutes leurs chances de remporter le contrat des avions ravitailleurs et restent en lice pour celui des frégates », explique Aleksander Olech, responsable de la coopération internationale chez Defense24, un site spécialisé. « Mais pour les futurs besoins de nos armées, notamment en matière de défense antiaérienne ou de coopération spatiale, le choix pourrait s’orienter sur Washington », admet l’expert. Le président polonais ne dispose pas de prérogatives directes en la matière, mais, en tant que chef suprême des forces armées, il peut exercer une influence sur le gouvernement.
« La Pologne d’abord »
D’autant que les cercles proches de Nawrocki continuent de croire en Donald Trump : « Il a imposé des sanctions contre le gazoduc Nord Stream et augmenté le nombre de soldats américains sur notre sol. Alors qu’on disait qu’il allait anéantir l’Otan, il a convaincu les Alliés de consacrer 5 % de leurs budgets à la défense », relate le député PiS Kacper Plazynski, qui regrette « le rapport ambivalent longtemps entretenu par la France à l’égard de Vladimir Poutine ».
Selon le conservateur Marcin Ociepa, Nawrocki suivra sa maxime, « la Pologne d’abord », déployée tout au long de la campagne électorale. Reste à voir ce que Paris sera en mesure d’offrir, juge l’élu. « La France devrait user de son poids à Bruxelles pour faire cesser les menaces sur les réformes de l’Etat de droit, avance-t-il. Autre suggestion : « Paris pourrait augmenter le contingent français sur le flanc est de l’Otan, en le positionnant en Pologne« .
L’autre volet crucial pour l’Elysée concerne l’énergie. La seule annexe rattachée au traité de Nancy porte justement sur la coopération dans le nucléaire civil. La Pologne, qui a tourné la page de la dépendance énergétique russe, doit encore décarboner son mix. En 2020, Varsovie a relancé son programme nucléaire, et deux ans plus tard, le gouvernement estampillé PiS a décidé, à la suite d’une procédure contestée par la Commission européenne, de faire construire la première centrale du pays par l’américain Westinghouse. « Un choix géopolitique, pour ancrer la présence de Washington », souligne Maciej Bukowski, spécialiste du secteur à la fondation Pulawski.
Toute l’attention se porte désormais sur l’identité du futur partenaire pour la construction de la deuxième centrale, qui sera révélé mi-2027. Le géant français EDF espère évidemment que la Pologne optera pour la « diversification ». Là encore, c’est le gouvernement Tusk qui a la main, mais Nawrocki, qui a fait du nucléaire une priorité pour la sécurité énergétique de la Pologne, suivra le dossier de près. Le président polonais sera sollicité par le lobbying américain. Mais « la décision va surtout se jouer sur la date de mise en service, les prix, la qualité de la technologie et la participation des entreprises locales » estime Dominik Brodacki, chef du département Energie au cabinet d’analyse Polityka Insight, optimiste sur les perspectives de coopération fructueuse entre le gouvernement et le palais présidentiel sur ce dossier. En coulisses, certains évoquent la mise en œuvre décevante du premier contrat américain.
EDF, fort de son expérience européenne et de sa maîtrise des chaînes d’approvisionnement, croit en ses chances. « La bataille sera plus rude sur les petits réacteurs modulaires (SMR), où les Américains sont très ambitieux », prédit néanmoins Maciej Bukowski de la fondation Pulawski. Côté renouvelable, on craint un ralentissement des efforts en matière de transition. Le président Nawrocki est susceptible d’utiliser son droit de veto pour retarder l’adoption d’une législation verte, notamment sur l’éolien terrestre, où les entreprises françaises sont engagées.
Dans l’ensemble, les synergies sont là, répètent les acteurs. Sur le nucléaire et la défense, mais aussi sur l’agriculture, le biogaz, les infrastructures… Et le contexte international est favorable. « C’est le meilleur moment dans l’histoire du XXIe siècle pour une coopération franco-polonaise », martèle l’analyste Alexander Olech. Avec Tusk encore au gouvernement, l’Elysée dispose d’une fenêtre favorable pour avancer ses pions. C’est peut-être maintenant ou jamais.
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Publish date : 2025-08-06 06:43:00
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