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Journée des oubliés des vacances : les « souvenirs incroyables » de bénéficiaires devenus célèbres

Journée des oubliés des vacances : les « souvenirs incroyables » de bénéficiaires devenus célèbres

Installée sur le toit d’un bateau-mouche parisien, Armine ne détache ses yeux du paysage que pour saisir son tout nouveau téléphone, et cribler de photos la Tour Eiffel, le pont Alexandre III ou les toits dorés de la cathédrale de la Sainte-Trinité. A intervalle régulier, elle ne peut s’empêcher de se lever d’un bond pour prendre un selfie devant Notre-Dame de Paris ou le Louvre avec son frère et sa soeur. La jeune fille de 12 ans n’a pas encore de réseaux sociaux, mais tient à envoyer aux parents, restés à la Roche-sur-Yon (Vendée), un souvenir de ce moment inoubliable.

Comme elle, plus de 40 000 enfants ont bénéficié, ce mercredi 20 août, d’une journée de visite dans la capitale organisée par le Secours Populaire. Alors qu’un enfant sur trois ne part pas en vacances durant l’été, ces sorties, organisées depuis 1979 partout en France par l’association et baptisées « Journées des oubliés des vacances » (JOV), leur permettent de changer d’air, et de découvrir la mer, la montagne ou les monuments de Paris. Balade sur la Seine, visite de musées, initiation au sport avec des athlètes olympiques et concert surprise sur le Champ-de-Mars… A leur retour, les milliers de petits bénéficiaires pourront raconter leurs aventures à leur famille, leurs copains, leurs professeurs. Et avoir enfin le sentiment d’être un peu partis, eux aussi.

« C’est extrêmement important. Quand on leur demandera à l’école d’écrire une rédaction sur leurs activités estivales, ils pourront faire le récit de cette journée. Il faut voir leur réaction quand ils voient la tour Eiffel pour la première fois : leur sourire dit tout », commente Annick Wemeaux, directrice générale du Secours Populaire pour le département de la Vendée. Radieuse en descendant du bateau, Armine confirme. « Je crois que je m’en rappellerai toute ma vie, c’était trop bien ! », lâche-t-elle en rejoignant le reste du groupe – sans savoir qu’un concert surprise des rappeurs Big Flo et Oli et une visite de l’influenceuse star des ados Lena Situations l’attendent encore. Avant elle, des milliers d’autres enfants sont restés marqués par ces journées de vacances inespérées, et par le soutien apporté par l’association dans un quotidien parfois compliqué. Parmi eux, certains sont devenus comédiens, vidéastes, créateurs de contenus ou présentateurs de télévision. Pour continuer à soutenir cette initiative, ils ont accepté de raconter leur expérience à L’Express.

« Pour moi, c’était une chance de vivre ça »

Pendant des années, Mohamed Kefti – plus connu sous le nom Jhon Rachid, son pseudo de comédien et de Youtubeur -, a passé ses longs mois d’été à tenter de s’occuper dans son quartier de la périphérie de Lyon. Pour lui, pas de voyage à l’autre bout du monde ou de sorties à la plage : « Ma grand-mère, qui m’a élevée, avait un travail de femme de ménage dans un supermarché. Alors les vacances, c’était non », confie-t-il. Jusqu’à ce qu’une assistante sociale évoque à la famille l’initiative organisée par le Secours Populaire, qui propose alors à des bénévoles d’accueillir chez eux des enfants durant les vacances scolaires.

A 7 ans, Mohamed Kefti rencontre ainsi Bernadette et Paul, qui possèdent une grande ferme dans le village de Montusclat, en Haute-Loire. « Ça n’était qu’à quelques heures de transport, mais ça me semblait un autre monde. Je venais d’une famille pauvre musulmane du centre-ville de Lyon, et je me suis retrouvé à aller à la messe du dimanche à la campagne, dans une famille qui possédait un troupeau de vaches et de moutons. C’était à mille lieues de ce que je vivais au quotidien ! », raconte en riant le vidéaste, qui réunit désormais plus d’1,3 millions d’abonnés sur YouTube.

Le courant passe si bien qu’il retourne pendant sept ans à Montusclat, à toutes les vacances scolaires. Avec les deux enfants du couple, Mohamed Kefti découvre la vie à la campagne, apprend à monter à cheval, à faire du vélo, à s’occuper des bêtes, à « faire les foins ». « On me permettait même de prendre l’hostie à la messe, alors que je n’étais pas baptisé », s’amuse-t-il. A l’adolescence, le jeune homme prend son indépendance, et cesse de partir en vacances à la ferme. « Mais j’en ai gardé des souvenirs incroyables. Ça m’a permis de découvrir des choses que je n’aurais jamais vues sinon, de m’ouvrir, de comprendre le monde qui m’entourait », retrace-t-il.

En 2019, à l’occasion de la sortie de sa bande dessinée Comme on peut (Michel Lafon), illustrée par Leni Malki et dans laquelle il raconte son enfance, il retourne à Montusclat pour rendre visite à sa « seconde famille ». « Brigitte a alors fait quelque chose dont je me souviendrai toujours. Elle a regardé son mari et lui a lâché : ‘Je t’avais dit qu’il reviendrait’ », raconte Mohamed Kefti. Pour lui, l’initiative du Secours Populaire sur les Journées des oubliés des vacances est plus que primordiale. « On a beaucoup perdu sur le sujet de la petite enfance. Il y a des coupes dans les budgets, des projets qui meurent… Alors qu’ils permettent vraiment de construire des adultes sains. Pour moi, c’était une chance de vivre ça ».

« Eviter le sentiment d’exclusion »

Pour Sherazed Kerienski, alias « Shera » sur YouTube et Instagram – où elle comptabilise plus de 3,3 millions d’abonnés -, le Secours Populaire a permis de rendre les fêtes de fin d’année encore un peu plus magiques. Un hiver, sa mère, qui élève seule ses deux enfants tout en travaillant à l’usine, décide d’emmener la jeune fille à la journée des « Pères Noël Verts » organisée chaque année par l’association, et qui permet aux bénéficiaires de repartir avec un cadeau et de participer à toutes sortes d’ateliers et animations.

L’enfant d’alors reste très marquée par la couleur – verte ! – des Pères Noël, le spectacle réalisé par les bénévoles, les fous rires avec sa cousine et la « jolie poupée » reçue à la fin de cette journée si spéciale. « Je n’y ai participé qu’une seule fois, mais je me rappelle à quel point j’avais adoré ce moment. En grandissant, je réalise à quel point ce genre d’initiative est essentiel : cela peut vraiment apporter de la joie à des enfants qui, ponctuellement ou régulièrement, n’ont pas la possibilité de fêter Noël », confie Shera à L’Express.

Des années plus tard, cette artiste et créatrice de contenus considère comme un « devoir » le fait de mettre en lumière ces journées des oubliés de Noël ou des vacances. « Ma mère a toujours veillé à ce que nous ne manquions de rien et à ce que nous ne nous sentions jamais exclues. On ne s’en rend pas toujours compte, mais ces moments contribuent énormément à l’intégration sociale et au bonheur des enfants et de leurs familles », souligne-t-elle, rappelant que ces initiatives permettent notamment aux jeunes d’éviter un sentiment d’isolement lorsque la maîtresse pose la fameuse question, à la rentrée : « Alors, qu’as-tu fait pendant les vacances ? ». « C’est aussi leur permettre de découvrir autre chose, de couper avec le quotidien, de leur offrir ce que la vie ne peut pas toujours leur donner à cet âge », résume Shera, qui a récemment participé avec le Secours Populaire à une mini-série sur le sujet, baptisée Happy End.

Des enfants qui n’ont jamais vu la mer

L’animateur de télévision Raphäl Yem a également répondu présent pour cette mini-série, ravi de rendre la pareille au Secours Populaire, dont il a bénéficié lorsqu’il était plus jeune. « Quand j’étais ado, ma mère s’est retrouvée seule, et sans emploi. Le temps de raccrocher les wagons, on faisait discrètement la queue, deux fois par semaine, à l’arrière du local pour aller récupérer des paniers alimentaires », raconte-t-il. Le jeune homme bénéficie également de dons de vêtements, qu’il porte alors fièrement, « même s’ils n’étaient pas du tout à la mode ». « Pour nous, c’était déjà beaucoup », précise l’animateur, qui n’a, « à son grand regret », pas eu l’occasion de profiter des Journées des oubliés des vacances – mais tient justement à rappeler leur importance.

« Comme je ne partais pas du tout, je restais à la maison, je traînais dans le quartier avec les autres ‘sans vacances’. J’en étais arrivé à mentir à la rentrée, aux camarades de classe, aux profs, m’inventant des voyages à l’étranger, des rencontres fantastiques, des aventures incroyables… J’en ai gardé d’amers sentiments, une sorte de honte. De celles qui nous brûlent à l’intérieur à cet âge où il faut prouver », témoigne-t-il. Le quadragénaire profite désormais de sa notoriété pour faire connaître l’initiative, et a notamment parrainé une journée organisée par le Secours Populaire à Deauville, en Normandie.

« J’ai nagé avec des enfants qui n’avaient jamais vu la mer, ou qui n’avaient joué que dans le sable du bac à sable de leur immeuble », se souvient le journaliste. Il reste notamment marqué par cette jeune fille de 13 ans venue avec sa mère depuis Bondy, en Seine-Saint-Denis. « Traverser la Normandie en bus, voir les paysages défiler pour de vrai ailleurs que sur un écran, avait été pour elle un vrai kiff », explique-t-il. Jusque-là, la jeune fille n’était encore jamais sortie de sa ville, et encore moins de la région parisienne.



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Author : Céline Delbecque

Publish date : 2025-08-21 14:03:00

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