L’Express

Eric Coquerel et la « taxe Zucman » : un niveau si faible en économie devrait nous alerter, par Pierre Bentata

Eric Coquerel et la « taxe Zucman » : un niveau si faible en économie devrait nous alerter, par Pierre Bentata

Le 11 septembre dernier, Éric Coquerel était l’invité du 18/19 sur BFM Business. L’occasion pour Edwige Chevrillon d’évoquer la « taxe Zucman », qui propose de taxer à 2 % les patrimoines de plus de 100 millions d’euros.

Afin d’introduire sa question, la journaliste prend l’exemple de l’entreprise Mistral AI, seule licorne française dans l’intelligence artificielle générative. Elle lui rappelle que Mistral, bien que valorisée à 12 milliards d’euros, ne fait aucun bénéfice, et s’interroge sur la capacité des dirigeants actionnaires à s’acquitter de la taxe. Interrogation légitime, car en supposant que les trois fondateurs, Arthur Mensch, Guillaume Lample et Timothée Lacroix, ne possèdent que 10 % chacun des actions, ils devraient débourser 24 millions d’euros chacun, pour une entreprise qui ne leur rapporte rien.

S’ensuivit une scène tout bonnement ubuesque. Sur le plateau, la journaliste semble effarée, stupéfaite. Non par la puissance des arguments de son invité, mais par son ignorance et par la vanité de son analyse. D’abord, Éric Coquerel ne sait pas qui est Arthur Mensch. Apparemment, il n’en a jamais entendu parler. Mais ce n’est pas tout.

Lorsque Edwige Chevrillon se voit contrainte d’abandonner son rôle de journaliste pour devenir enseignante de cours de rattrapage, expliquant que Mistral ne gagne pas d’argent mais que son président devra tout de même payer la taxe, le député répond benoîtement : « s’il ne se paye pas, son patrimoine n’augmente pas, il n’y a pas de problème. » Et pourtant il y a bien un problème. Car la taxe portant sur le patrimoine, il devra payer 2% de la valeur de ses actions, même s’il n’a perçu aucun revenu. Evidemment, certains défenseurs du député faiblard en économie diront que tout le monde peu confondre revenus et patrimoine. Une simple étourderie sans doute…

Vide intellectuel

Sauf que les choses s’aggravent quand la journaliste tente de lui faire entendre raison : si Mensch, comme beaucoup de dirigeants, désire se payer en dividendes et que son entreprise ne fait pas de bénéfices, il ne gagne rien, et devra tout de même payer des dizaines de millions d’euros. « Voyez-vous le problème », semble supplier Edwige Chevrillon. Coquerel, lui, ne voit rien, et s’indigne : « attendez, sa boîte vaut 14 milliards et il ne se paye pas ? », tout en prenant l’air de celui à qui on ne la fait pas (et oui monsieur, on peut diriger une entreprise qui intéresse les investisseurs mais ne dégage pas de profits. Ça arrive même souvent dans le cas des licornes. Ce serait même une de leurs caractéristiques). Face à une telle inculture, consternée, la journaliste abdique et l’invite à revenir sur sa chaîne pour apprendre un peu d’économie.

Une séquence fascinante par le vide intellectuel qu’elle révèle. Car rappelons qu’Éric Coquerel n’est pas seulement député. Il est aussi et surtout président de la Commission des finances. Ainsi, l’élu qui devrait le mieux comprendre l’économie confond revenus et patrimoine, oubliant au passage qu’un patrimoine passé a déjà été taxé et qu’un patrimoine financier n’est que potentiel. Et plus grave peut-être, il ne voit aucune différence entre une capitalisation boursière, un chiffre d’affaires et des bénéfices. Pour lui, le revenu d’un dirigeant est équivalent à la valeur boursière de son entreprise, elle-même assimilable à du profit, qu’il faudrait donc taxer. Que l’élu qui a en charge l’analyse des finances publiques ait un niveau si faible en économie devrait nous alerter. Et peut-être faudrait-il s’inquiéter de former les députés sur les sujets qu’ils veulent réglementer… Ou à défaut, les empêcher de légiférer sur ce qu’ils ignorent. Sans doute y a-t-il ici quelques économies à trouver et certaines réformes efficaces à mettre en place.

Mais l’enjeu de cette histoire va bien au-delà de la personne de Coquerel. Derrière l’anecdote – l’inculture économique de beaucoup d’élus – se cache une morale plus générale. Un tel épisode ne devrait pas seulement disqualifier le député mais la « taxe Zucman » elle-même. Pourtant, il y a fort à parier qu’elle en accroîtra la viralité. Au point qu’elle rejoindra bientôt les grandes propositions absurdes et immortelles qui reparaissent régulièrement dans le paysage politique et animent le débat public (retraite à 60 ans, revenu universel, gratuité de tous les services publics). Pourquoi ? Parce que, comme l’illustre admirablement Éric Coquerel, la « taxe Zucman » est une mesure dogmatique qui se présente comme une solution technique.

La « taxe Zucman » ne fera qu’aggraver les choses

La discuter, c’est déjà entériner l’idée fausse selon laquelle les riches ne contribuent pas à l’effort national. Et tomber dans l’inévitable sophisme qui voudrait que ne payant pas d’impôt, ils creusent le déficit et que par conséquent il suffirait de les taxer. Voilà la force de cette proposition et son véritable enjeu. Imposer un ressentiment économique comme fondement d’une morale politique.

Raison pour laquelle aucun argument ne saurait en avoir raison. Peu importe au fond que les 10 % les plus riches versent déjà 45 % de leurs revenus à l’Etat, quand les 10 % les plus pauvres n’en versent que 10 %. Peu importe qu’une fois les transferts monétaires et les prestations sociales intégrés dans le calcul des contributions nettes, seuls les 40 % les plus riches payent plus d’impôts qu’ils ne reçoivent de prestations. Et peu importe que les 10 % les plus riches financent 72 % de l’ensemble des transferts dont bénéficient les 60 % les plus pauvres. Tous ces chiffres sont pourtant connus et sont fournis par l’Insee (Comptes nationaux distribués par dixième de niveau de vie).

Pas plus qu’il n’est utile de s’inquiéter de l’exil fiscal des hauts revenus. Gabriel Zucman lui-même se veut rassurant : « les études montrent que l’exil fiscal est faible », affirmait-il le 10 septembre au 20 Heures de France 2. Évidemment, il omet de rappeler que si les milliardaires d’aujourd’hui ne quittent pas le pays – ceux qui ont fait fortune dans le luxe et plus rarement dans l’industrie – les milliardaires de demain partent déjà. Comment expliquer autrement l’absence de géants de la tech en France et le fait que les dirigeants de startups prometteuses finissent toujours par les vendre à l’étranger au lieu de les développer ? La « taxe Zucman » ne fera qu’aggraver les choses : les dirigeants d’entreprises devront vendre leurs actions à des fonds étrangers pour s’en acquitter. Pas d’exil fiscal mais l’annihilation de l’innovation.

Mais que tout cela soit vrai n’aura aucun effet. On aura beau le démontrer, et rire ou s’étouffer devant les propos d’Éric Coquerel, cela ne changera rien. Car avec la « taxe Zucman », les excités de l’égalité – la pauvreté pour tous –, comme les drogués à la dépense – l’Etat est déjà à l’os – ont trouvé leur credo : « ne changeons rien, taxons les riches ! » Il est donc vain de leur rappeler qu’ils vivent déjà dans l’un des pays les plus taxés au monde, où la dépense publique représente 57 % du PIB et dont les comptes n’ont pas été en équilibre depuis 50 ans. Sur le terrain idéologique, les faits perdent la face. D’où la morale de cette histoire. Que ceux qui s’intéressent aux faits et aux données pour réformer le pays se le tiennent pour dit : débattre de la « taxe Zucman » est une impasse, on ne tire rien de bon à débattre d’une farce.

*Pierre Bentata est économiste et maître de conférences à la faculté de droit d’Aix-Marseille Université. Il a publié en janvier La Malédiction du vainqueur (L’Observatoire).



Source link : https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/eric-coquerel-et-la-taxe-zucman-un-niveau-si-faible-en-economie-devrait-nous-alerter-par-pierre-FECYV5I3HRHMFHCDDC77PHEPZY/

Author :

Publish date : 2025-09-12 15:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express