L’alerte a été donnée fin juillet dernier par la fondation Carnegie Endowment for International Peace. Selon un rapport de Carnegie Politika, la publication numérique du groupe de réflexion qui propose des analyses sur la Russie et l’Ukraine, le nombre de cas de VIH parmi les militaires russes a augmenté de 2 000 % depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, en février 2022. D’après la Fondation Carnegie pour la paix internationale, fin 2022, le nombre de cas dans l’armée avait été multiplié par 13 par rapport au niveau d’avant-guerre, et par 20 fin 2024.
Selon l’Institut central de recherche épidémiologique de Rospotrebnadzor, à l’automne 2022, le VIH avait été diagnostiqué chez 1 % de la population russe, soit environ 1,5 million de personnes, relate The Moscow Times, un média russe indépendant installé à Amsterdam et lié à la Fondation Carnegie pour la paix internationale. Depuis 2022, la Russie se classe régulièrement parmi les cinq premiers pays au monde en termes de nouvelles infections, derrière l’Afrique du Sud, le Mozambique, le Nigeria et l’Inde. Le problème n’a pas débuté avec la guerre : en 2021, avant l’invasion russe de l’Ukraine, la Russie enregistrait déjà 3,9 % des nouveaux cas de VIH dans le monde, soit plus que la Tanzanie, l’Ouganda, la Zambie ou le Kenya.
Des soldats malades envoyés au front ?
Rien n’indique que la situation pourrait s’inverser. Comme le rapporte Courrier International, sur sa chaîne Telegram, la journaliste et propagandiste pro-Kremlin Anastasia Kashevarova affirme que l’état-major russe prévoit de regrouper les soldats atteints du VIH, de l’hépatite ou de la tuberculose dans des unités distinctes afin de les envoyer au front ukrainien. Cette annonce n’a pas été confirmée par le ministère de la Défense russe. Toutefois, selon plusieurs médias indépendants russes, des soldats séropositifs ou porteurs de maladies infectieuses participent bien à la guerre en Ukraine, en dépit des affirmations des autorités.
« Certains bataillons sont constitués majoritairement d’anciens détenus souffrant potentiellement de tuberculose, de toxicomanes chroniques ou de jeunes venus des régions occupées de Donetsk et Louhansk, qui souffrent d’un manque de soins depuis 2014 », explique un médecin militaire russe, sous couvert d’anonymat, dans les colonnes du média russe Novaïa Gazeta Europe, dont la rédaction est en exil. « Un soldat peut contaminer des dizaines de camarades », prévient-il.
Selon le rapport du Carnegie Endowment for International Peace, cette forte augmentation est due à la fois aux conditions de vie sur le front – des rapports sexuels non protégés entre soldats et la consommation de drogues – et aux politiques du gouvernement russe qui, sous couvert de protection des « valeurs traditionnelles », a accru la pression sur les organisations de prévention et d’éducation luttant contre le VIH.
Ainsi, en avril dernier, l’organisation Elton John AIDS Foundation, qui lutte contre le VIH dans le monde depuis plus de 30 ans, a été classifiée comme « indésirable » en Russie. Cette organisation « vise à soutenir des associations pour la prévention et la lutte contre le sida parmi les groupes les plus vulnérables (personnes LGBT, toxicomanes), ainsi qu’à lutter contre la discrimination […] de personnes infectées par le VIH », a indiqué le parquet dans un communiqué. Mais elle est « beaucoup plus concentrée sur la propagande des relations sexuelles non traditionnelles, des modèles de famille occidentaux et du changement du sexe », a regretté le parquet russe dans ce communiqué.
Le parquet accuse ainsi Elton John AIDS Foundation d’avoir « une attitude négative envers la politique des pays qui défendent les valeurs spirituelles et morales traditionnelles » et de « participer à une campagne de dénigrement de la Russie menée par l’Occident » depuis le début de l’opération russe en Ukraine en février 2022.
Partage de seringues et raréfaction des campagnes de prévention
La hausse des cas de VIH dans l’armée russe est accrue par le partage de seringues, les viols de guerre, les relations tarifées durant les permissions, mais aussi par la raréfaction des campagnes de prévention. Les modes de transmission prospèrent au sein d’une armée d’hommes combattants qui vivent chaque jour comme si c’était le dernier et gagnent un salaire décent. De même, la réutilisation du matériel permettant les transfusions sanguines dans les hôpitaux de campagne auprès des soldats blessés ne se fait pas toujours dans des conditions sanitaires satisfaisantes.
Une telle épidémie « ne peut s’expliquer que par des transmissions par le sang, typiques d’un usage collectif de matériel non stérile », observe Alexeï Lakhanov, consultant international spécialisé dans la prévention du VIH, dans le média indépendant russe Current Time, affilié à Radio Svoboda. Il souligne que, même en temps de paix, les militaires présentent déjà un risque deux à cinq fois plus élevé d’être infectés par le VIH que la moyenne de la population civile.
Malgré la forte augmentation des cas de VIH dans les forces armées russes, un test positif à la maladie constitue toujours un motif officiel d’inaptitude au service militaire. Lors de la conscription, cette règle est généralement respectée : des rapports font état de conscrits achetant des certificats de dépistage du VIH et de l’hépatite afin d’éviter d’être envoyés au front, constate Carnegie Endowment for International Peace. Sur le front lui-même, cependant, ces règles ne sont plus aussi scrupuleusement respectées. Les médias indépendants et les réseaux sociaux regorgent d’histoires de commandants sur le terrain refusant de laisser des soldats quitter le front, quel que soit leur état, car ils sont déjà en nombre insuffisant, relève la fondation.
Vers « un raz de marée d’épidémies » ?
Si la contagion se poursuit au sein de l’armée russe, relève Courrier International, c’est aussi parce que l’armée russe a recruté certains de ces soldats en connaissance de cause. Le site d’investigation russe Vajnie Istorii, installé en Lettonie, a repéré une trentaine d’annonces de recrutement de combattants ayant d’éventuelles « particularités médicales », accessibles sur Avito, un site russe prévu à cet effet. De tels centres de recrutement ont probablement pour objectif d’atteindre les objectifs de recrutement de soldats sous contrat imposés par les autorités.
Les conséquences sanitaires dépassent les seules zones de combat et pourraient être de plus en plus graves. « Quand ces soldats rentreront chez eux, ce sera un raz de marée d’épidémies », s’alarme le médecin interviewé par Novaïa Gazeta Europe. Or « le système de santé russe, affaibli par des années de réformes, n’est pas préparé à cette vague ».
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Author : Julien Chabrout
Publish date : 2025-09-14 12:08:00
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