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EXCLUSIF. Finances publiques, le mal français : ce rapport choc qui pointe deux siècles de dérive

EXCLUSIF. Finances publiques, le mal français : ce rapport choc qui pointe deux siècles de dérive


Il faut parfois sauter dans une machine à remonter le temps pour mesurer l’ampleur d’un problème. Une gymnastique bien utile quand on s’intéresse aux questions de finances publiques. C’est ce travail d’archiviste et d’historien que les experts de l’Observatoire du long terme, dirigé par Vincent Champain, ont mené dans un rapport que L’Express a pu consulter en primeur. Un travail indispensable pour comprendre le phénomène de « dérosion », la dilution des moyens alloués aux services publics, malgré leur augmentation constante, et l’érosion de la qualité desdits services. Comment inverser la tendance ?

Le déficit, une pathologie ancienne

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Il ne fait jamais bon avoir raison trop tôt. « Je suis à la tête d’un Etat en faillite », lançait en septembre 2007 François Fillon, alors fraîchement nommé à Matignon. La sentence s’est perdue dans les tempêtes qui ont balayé la France depuis vingt ans. Quelques années plus tard, en 2015, le rapport commandé par Thierry Breton, ministre de l’Economie, à Michel Pébereau et qui dressait un diagnostic sévère de la situation, connaissait le même sort. Les vents mauvais se sont succédé – crise financière de 2008, des dettes souveraines en 2012, Covid en 2020, guerre en Ukraine… – et à chaque fois, les fameux « stabilisateurs automatiques » ont été actionnés pour protéger la croissance.

Logiquement, les finances publiques ont basculé dans le rouge mais elles n’ont jamais retrouvé leur niveau d’avant crise. Comme si la France ne cessait de dévaler les marchés de l’escalier. « Il est souvent rappelé que le dernier budget voté à l’équilibre en France remonte à 1974 et que, depuis lors, l’État n’a jamais réellement réussi à tenir ses engagements de réduction des déficits. Une analyse des statistiques plus anciennes montre que l’équilibre budgétaire a toujours été l’exception, le déficit constituant la norme », écrivent les auteurs du rapport de l’Observatoire du long terme. Une addiction qui dure depuis des lustres. « Certes, sur le long terme, la France ne figure pas parmi les pays les plus « déficitophiles ». Mais l’équilibre budgétaire n’a été atteint que dans 22 % des cas au cours des 145 dernières années. » Un résultat bien inférieur à celui observé chez nombre de nos partenaires européens. Le contre-modèle ? L’Allemagne. Depuis 1880, le pays a affiché un excédent budgétaire près de la moitié du temps.

L’austérité, c’est pour les autres

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Les mots auraient-ils perdu leur sens ? « Une « boucherie sociale », a-t-on entendu après l’annonce du plan Bayrou et ses 44 milliards d’économies le 15 juillet dernier. « Malgré le terme « d’austérité » que l’on entend parfois prononcer, pointe le rapport, la France ne fait pas partie des pays qui ont déjà engagé des réductions fortes de leurs dépenses publiques. C’est même le grand pays qui a le moins réduit ses dépenses de l’histoire récente. […] Alors que la qualité du service public se dégrade, le coût payé par les Français ne cesse de croître : il place désormais la France en tête des pays développés avec un niveau record de dépenses publiques à près de 58 % de la richesse nationale, selon l’Insee ».

Cette dérive est le fruit d’une chaîne grippée, dont chaque maillon – de la conception des lois à leur mise en œuvre ou leur fin de vie – fait preuve de faiblesses ». Et les auteurs de l’étude d’énumérer certaines d’entre elles : « Une prolifération de projets et de normes plus rapide que notre croissance qui dilue les moyens – avec un taux de croissance annuel de la production normative 3 à 5 fois plus rapide que celui de la richesse par habitant. Un pilotage par les moyens, plus que par la qualité ou la valeur du service fourni. Pour des services généralement « gratuits » car payés par l’impôt, ce pilotage porte en lui le risque d’érosion du rapport valeur/coût des politiques publiques. Une focalisation sur la loi, plutôt que sur ce qui la précède (études d’impact notamment) ou ce qui lui succède (évaluation, progrès continu ou fin de vie du dispositif). Des arbitrages opaques et cloisonnés, où les dépenses moins utiles dans un contexte d’enveloppe globale plafonnée privent des politiques plus essentielles de moyens. Un fonctionnement essentiellement annuel, alors que les transformations les plus réussies (prélèvement à la source, dématérialisation des titres…) n’ont pu être menées à bien que sur plusieurs années. Des réformes et une capacité des fonctionnaires à améliorer l’efficacité des dispositifs malmenés par les alternances et le manque d’appui dans la durée ». N’en jetez plus.

Une puissance publique qui s’est appauvrie

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On est riche de ses dettes, dit le proverbe… Et si l’adage populaire méritait d’être actualisé ? « Le secteur public dispose d’un patrimoine, mais la dette de l’État a crû beaucoup plus fortement que son patrimoine depuis 25 ans : l’Etat s’est donc appauvri en s’endettant pour financer des dépenses courantes et non des investissements. À l’inverse, les collectivités locales (qui n’ont le droit de s’endetter que pour investir) ont vu leur patrimoine net augmenter. Au total, l’actif net public s’est dégradé », soulignent les auteurs de l’étude.

D’après leurs calculs, le patrimoine net de la puissance publique s’est érodé de 94 milliards entre 2000 et 2025. « La dette de l’État n’est pas encore un problème de soutenabilité financière immédiate (même si elle le deviendra avec les déficits de 2025 s’ils ne se réduisent pas), mais un problème moral : nous finançons les dépenses courantes publiques à crédit, et ce sont les générations futures qui paieront – à un coût qui sera peut-être bien plus élevé que le coût actuel si les taux de la dette française augmentent significativement. »

Des dépenses trop élevées par rapport à notre richesse

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C’est un fait : rapportées au PIB, les dépenses publiques en France sont largement supérieures à celles de nos voisins européens, et singulièrement de l’Allemagne. La photographie est un peu différente lorsqu’on compare les sommes versées par habitant. Ainsi, quand l’Etat français consacre 5,2 % du PIB à l’éducation contre 4,4 % outre-Rhin, la dépense par habitant se monte à 1 645 euros dans l’Hexagone contre 2 077 euros en Allemagne. « Cette situation s’explique principalement par la faiblesse relative de notre richesse par habitant, qui accentue notre ratio dépenses/PIB. À titre de comparaison, si la France disposait du niveau de PIB par habitant de l’Allemagne, nos dépenses publiques exprimées en pourcentage du PIB seraient largement inférieures à celles de l’Allemagne ».

En clair, chaque Français en âge de travailler ne produit pas assez de richesses. Une conclusion qui résonne dans le débat actuel sur l’augmentation du taux d’emploi et le recul de l’âge de départ à la retraite. « Le cœur du problème réside dans le fait que, malgré des moyens inférieurs à ceux de nos voisins, la France a collectivement choisi de vivre au-dessus de ses moyens depuis plusieurs décennies. Cette situation reflète deux difficultés structurelles. Premièrement, nous éprouvons des difficultés à fixer une limite aux dépenses publiques par rapport à nos ressources et à privilégier les politiques publiques ayant la plus forte valeur ajoutée.

L’ambition de maintenir des dépenses comparables à celles des pays les plus riches, alors que la richesse par habitant reste inférieure, conduit à multiplier les politiques sans hiérarchisation, et à financer cet écart par l’augmentation de la dette et des impôts. Deuxièmement, ces chiffres mettent en évidence les limites des efforts de rationalisation réalisés jusqu’à présent. Malgré les annonces répétées de revues de dépenses ou de chocs de simplification, toutes les opportunités n’ont pas été évaluées de manière rationnelle ».

Des promesses de sérieux peu respectées

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A quoi servent encore les programmes de rétablissement des finances publiques envoyés par Matignon à Bruxelles ? « La France présente une tendance récurrente à annoncer des réductions de déficits qui ne se matérialisent pas. Ce phénomène est parfois qualifié de « graphique à l’iroquoise », en référence à la coiffure en crête des Indiens iroquois. Les projections de déficits publiées se sont systématiquement révélées plus optimistes que les résultats effectivement constatés, surestimant quasi systématiquement la capacité de l’État à maîtriser ses déficits. […] Cette faible crédibilité de la France en matière de réduction des déficits devient progressivement préoccupante, alors que le pays se rapproche du profil européen des États présentant le moins de maîtrise de leurs finances publiques. À titre de comparaison, la Grèce a réussi, au prix d’efforts considérables, à assainir sa situation, et l’Italie est en voie de le faire ». Reste à savoir combien de temps nos partenaires européens accepteront cette légèreté tricolore.

Le coût exorbitant de la complexité administrative

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Le « choc de simplification » est devenu une Arlésienne de la politique française. Or, les coûts liés à la complexité réglementaire et à la conformité sont considérables. « Ceux-ci correspondent aux ressources et au temps nécessaires aux citoyens et aux entreprises pour se conformer aux règles en vigueur. Les études estiment que ce fardeau représente près de 4 points de PIB pour les seules entreprises. […] Cette complexité affecte particulièrement les petites et moyennes entreprises, qui ne disposent pas des effectifs suffisants pour spécialiser certains collaborateurs dans ces tâches, contrairement aux grandes entreprises. Le temps perdu dans ces procédures, estimé à plusieurs centaines de millions d’heures par an, réduit la productivité globale de l’économie et contribue également à alimenter le mécontentement des catégories les plus touchées, comme l’a illustré la crise des agriculteurs en janvier 2024 ».

A cette première facture s’ajoute celle payée par les ménages. « Si l’on estime qu’un adulte consacre en moyenne une heure par mois à la gestion de formalités administratives diverses (dépôt d’une plainte, succession, achat immobilier, démarches auprès de la caisse d’assurance maladie, déclaration d’impôts, règlement d’un problème administratif, permis de conduire, obtention d’une vignette, inscription scolaire…), le coût indirect pour l’ensemble des ménages représenterait environ un demi-point de PIB ».

La complexité administrative engendre enfin un troisième fardeau : celui des moyens publics mobilisés. « Des procédures excessivement complexes ou inutiles nécessitent des agents pour concevoir des formulaires, répondre aux questions des usagers ou leur expliquer les corrections à apporter à leurs demandes. Des textes peu clairs augmentent le temps nécessaire aux agents pour leur application et peuvent générer des contentieux. Ce coût n’a pas été formellement étudié, mais un ordre de grandeur pourrait le situer entre 10 % des dépenses de personnel et 5 % des subventions de l’État, soit environ 1,5 point de PIB. À titre indicatif, le seul doublement des missions entre État et collectivités locales est estimé à 0,3 point de PIB ».

Au total, les experts de l’Observatoire du long terme estiment à 6 points de PIB le prix de la complexité administrative. Les coûts directs et indirects des services publics atteindraient donc 64 % du PIB. Un boulet de plus. Un boulet de trop.



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Author : Béatrice Mathieu

Publish date : 2025-09-15 03:45:00

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