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Les « printemps sud-asiatiques » de la Gen Z : anatomie d’une jeunesse révoltée

Les « printemps sud-asiatiques » de la Gen Z : anatomie d’une jeunesse révoltée

Et de trois ! Après le Sri Lanka en 2022 et le Bangladesh en 2024, la jeunesse népalaise a renversé son gouvernement début septembre. L’heure des « printemps asiatiques » a-t-elle sonné ? En l’espace de trois ans à peine, la génération Z de trois pays d’Asie du Sud est parvenue à chasser du pouvoir une élite dirigeante corrompue, qui semblait jusque-là indétrônable.

48 heures ont suffi

Le soulèvement népalais fut fulgurant. Il n’aura fallu à la jeunesse de la nation himalayenne que 48 heures pour pousser le premier ministre KP Sharma Oli, 73 ans, vers la sortie. Lundi 8 septembre, des milliers de personnes étaient descendues dans les rues de Katmandou, sous la bannière « Gen Z », en référence aux jeunes de moins de 28 ans, pour protester contre l’interdiction de 26 réseaux sociaux, dont Facebook, TikTok ou encore Instagram. Face à la violente répression qui a fait 19 morts ce jour-là, la capitale s’embrase.

Dans un revirement spectaculaire, à la fin de cette même semaine, ce pays de 30 millions d’habitants avait dissous son Parlement et nommé une Première ministre de transition. Le vendredi 12 septembre, Sushila Karki, ancienne présidente de la Cour suprême et militante anti-corruption, prêtait serment et promettait d’organiser des élections d’ici à mars 2026.

L’exemple népalais

Le Népal semble incarner une tendance dans la région où des scénarios similaires se sont déroulés ces dernières années. Il y a d’abord eu le Sri Lanka. Alors que l’île de l’Océan indien subissait une grave crise économique en 2022, après des mois de privation, des dizaines de milliers de personnes, majoritairement jeunes, ont envahi le palais présidentiel de Gotabaya Rajapaksa, 76 ans. Le dirigeant honni, dont le clan a régné plus d’une décennie, a été forcé de prendre la fuite. Deux ans plus tard, l’histoire semble se répéter au Bangladesh, où une révolte étudiante s’étend à toute la population avant de contraindre la Première ministre Sheikh Hasina, 77 ans, à quitter le pays pour se réfugier en Inde. « Il est tentant de voir se dessiner un ’printemps sud-asiatique’, semblable au ’printemps arabe’ du début des années 2010, indique Roman Gautam, rédacteur en chef de Himal Southasian, une publication régionale. Tous les ingrédients sont réunis : une classe politique pourrie, un peuple à bout, des révoltes qui se succèdent. » Ces mouvements sans leader et sans idéologie politique claire sont ancrés dans des frustrations de longue date : un chômage de masse qui frappe des populations particulièrement jeunes, des élites dirigeantes âgées et indétrônables, la corruption et des perspectives d’avenir moroses. Lorsque le point de bascule est atteint, une seule étincelle suffit à mettre le feu aux poudres.

20 % de chômage chez les jeunes

Au Népal, où la moitié de la population a moins de 25 ans, la colère grondait depuis plusieurs semaines sur les réseaux sociaux. Une campagne en ligne avec les hashtags NepoBaby et NepoKids, en référence au népotisme et à la corruption de la classe dirigeante, prenait de l’ampleur sur TikTok, X, Facebook et Instagram. Des images virales montrant les enfants d’hommes politiques vivant une vie de faste au volant de voitures importées, en vacances en Europe, ont mis le feu aux poudres dans un pays où le chômage des jeunes s’élève à plus de 20 %. Chaque année, des millions de Népalais ordinaires sont forcés à l’exil, notamment dans le Golfe où beaucoup travaillent dans des conditions inhumaines sur des chantiers de construction, au péril de leur vie.

Promesses sans lendemain

Alors quand le gouvernement a fait interdire 26 réseaux sociaux le 4 septembre, c’est l’étincelle. Inspirés par les soulèvements dans les pays voisins, les jeunes descendent dans la rue. « Les jeunes au Népal ont clairement vu ce qui se passait au Bangladesh et au Sri Lanka ou, plus récemment, en Indonésie ou aux Philippines [secouées par de violentes manifestations contre le train de vie des élites et la corruption] », estime Jeevan R. Sharma, professeur à l’école de science politique et sociale de l’université d’Edimbourg. Au Bangladesh aussi, les troubles ont commencé par de simples manifestations réclamant l’abolition d’un système de quotas dans l’accès à la fonction publique qui favorisait les membres du parti au pouvoir. Comme au Népal, la sanglante répression de la « révolution de juillet » – qui a fait 1 400 morts, a jeté de l’huile sur le feu et mené à la chute de l’autocratique Sheikh Hasina après plus de 15 années passées à la tête du pays.

Une fois ces régimes tombés, la route vers un avenir meilleur est plus qu’incertaine. « Si ces mouvements offrent des perspectives prometteuses et un regain d’intérêt pour la politique, la concrétisation de ces promesses par le biais de réformes politiques et institutionnelles est difficile et semée d’embûches », prévient Jeevan Sharma. Au Bangladesh par exemple, les élections promises n’ont toujours pas eu lieu. Et le retour de l’ancienne garde politique est tout sauf exclu.



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Publish date : 2025-09-19 15:48:00

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