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Comment l’IA pourrait balayer les anciennes religions, par Antoine Buéno

Comment l’IA pourrait balayer les anciennes religions, par Antoine Buéno

On ne parle aujourd’hui plus que de l’intelligence artificielle. Soit pour s’en méfier, soit pour la louer. Et si nous nous mettions à la vénérer ? Allons-nous voir émerger une religion de l’IA ? Inutile de poser la question au futur, une telle religion existe déjà. Elle est évidemment américaine. Plus précisément et comme il se doit, californienne. Way of the future, première église dédiée au culte de l’IA, a été fondée en 2017 par l’ingénieur Anthony Levandowski. Elle se fixe pour mission de promouvoir « une divinité fondée sur l’IA » et d’établir « une connexion spirituelle » avec cette dernière. Un mouvement bien sûr folklorique mais qui pose la question très sérieuse de la numérisation de la spiritualité.

C’est le mouvement transhumaniste qui y apporte aujourd’hui la réponse la plus pertinente. Dans la foulée du positivisme d’Auguste Comte, le transhumanisme voue un culte à la science et à la technologie. Ses promesses sont celles des grandes religions. En visant la numérisation des individus, le transhumanisme entend séparer physiquement le corps (mortel) et l’esprit (potentiellement immortel). En promouvant la fusion de l’homme et de la machine, le transhumanisme poursuit le rêve d’une forme informatique et robotique de réincarnation. Plus globalement, il fait descendre sur terre l’horizon de l’immortalité et de la félicité.

Le bouddhisme contre les virus

Pour survivre, il faudra bien que les grandes religions trouvent un moyen de digérer elles aussi le fait numérique. La plus plastique d’entre elles, le bouddhisme s’y attelle déjà. Au Vietnam, la pagode Tran Quoc, la plus ancienne et vénérée de Hanoï, présente au visiteur des panneaux illustrant les vertus des bonnes conduites et les dangers des mauvaises pour préparer sa réincarnation. Ainsi, selon ses préceptes, « faire de généreuses donations avec compassion » assure une grande célébrité dans la prochaine vie, être alcoolique ou drogué fait courir le risque d’être stupide dans le corps suivant. Et là, surprise, car certains de ces préceptes concernent la vie numérique. Ainsi, « perdre son temps à jouer à des jeux vidéo » réduit ses chances d’être réincarné en humain, « créer des virus informatiques qui nuisent aux autres » rend pervers et fou dans une autre vie, arnaquer les autres en faisant du hameçonnage numérique fait renaître en enfer pour mille ans. De quoi dissuader tout bon bouddhiste de faire mauvais usage de ses talents numériques.

À l’évidence, les religions du livre n’en sont pas à ce niveau de digestion digitale. Pourtant, elles ne pourront pas ignorer longtemps l’IA. D’abord parce que l’IA, elle, n’ignore pas les religions. Elle est d’ores et déjà utilisée pour les étudier. C’est ainsi que, récemment, une IA a confirmé que trois styles d’écritures distincts pouvaient être distingués dans l’Ancien Testament. Et même que certains chapitres ou certaines parties avaient vraisemblablement été rédigés par d’autres personnes encore. De quoi éclairer l’histoire du christianisme d’un jour nouveau.

« Nouvelle idole »

Encore plus fondamentalement, l’IA fait courir aux grandes théologies un risque existentiel. Songeons que la dernière révolution comparable a fait imploser le christianisme. Percuté de plein fouet par l’invention de l’imprimerie, ce dernier a enfanté du protestantisme et s’est déchiré dans les guerres de religion. Demain, l’IA pourrait balayer les anciennes croyances. Le pape François, qui redoutait l’émergence d’une « nouvelle idole », ne s’y est pas trompé. Le Saint-Siège affirme beaucoup réfléchir au sujet. Pendant ce temps-là, des sociétés privées se sont lancées dans l’élaboration de « ChatGPT catholiques ». Des IA génératives telles que Magisterium AI, Catholic.chat ou CatéGPT ont vocation à répondre aux questions de leurs utilisateurs sur le christianisme. Le Vatican envisagerait de reprendre la main en lançant sa propre IA. Et bien sûr, ni l’islam ni le judaïsme ne sont en reste. MuslimGPT est un assistant IA capable de « répondre à toutes questions sur l’islam » et Rebbe.IO fait de même en ce qui concerne la religion hébraïque.

Cependant, créer de telles IA religieuses dédiées n’est peut-être pas le plus pertinent. Car les IA génératives les plus massivement utilisées aujourd’hui sont, elles aussi, théoriquement capables de répondre à toute question théologique. Dès maintenant, ChatGPT, Claude ou Grok pourraient faire un bon rabbin, un bon imam ou un bon prêtre. Demain, l’IA pourrait donc servir d’adjuvant aux grands cultes. Plutôt que de se laisser passivement analyser et dépasser par cette nouvelle technologie, les grandes religions auraient tout intérêt à l’investir. Dans ces conditions, à quand l’émergence du judAIsme, de l’IAslamisme et du christIAnisme ?

*Essayiste et prospectiviste, Antoine Buéno est notamment l’auteur de Faut-il une dictature verte ? et Futur, notre avenir de A à Z (Flammarion)



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Publish date : 2025-09-24 06:00:00

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