L’Express

« C’est sûr à 90 % » : le jour où Xavier Bertrand a failli devenir Premier ministre

« C’est sûr à 90 % » : le jour où Xavier Bertrand a failli devenir Premier ministre

C’est la première fois qu’il prend la plume. Xavier Bertrand a attendu d’avoir 60 ans avant de publier son premier livre Rien n’est jamais écrit (Robert Laffont) qui sortira le 23 octobre : quelque 400 pages à la fois personnelles et politiques pour raconter un parcours qui doit le mener à une candidature à l’élection présidentielle en 2027 – il en a plusieurs fois eu l’envie sans jamais jusqu’à présent pouvoir aller jusqu’à la ligne de départ. Car il a connu des hauts, comme sa victoire à la région Hauts-de-France face à l’extrême droite, et des bas, comme son renoncement à l’Elysée en 2022. Ce sont les aléas de la vie publique qu’il décrit avec minutie, et notamment comment il a été à deux doigts de devenir Premier ministre en 2024. Mais la confession essentielle est ailleurs : « La politique a donné un sens à ma vie. » Extraits exclusifs.

Opération Matignon

Fin juillet 2024, Gérald Darmanin m’appelle et me demande si je suis prêt à discuter avec le chef de l’État. J’en accepte le principe si cette rencontre se fait seul à seul. Le premier rendez-vous se déroule dans la foulée, un dimanche soir, dans le bureau d’Emmanuel Macron au palais de l’Élysée. Je m’y rends en voiture, passant par la grille du Coq, porte discrète qui permet aux chefs de l’État de recevoir au gré de leurs envies et à l’abri des regards. Emmanuel Macron me tutoie (je le vouvoierai tout au long de nos échanges), il est souriant et me donne l’impression d’être concentré. L’entretien, cordial, dure environ une heure et demie. En l’absence de majorité, la situation politique est improbable. Cependant, je lui parle librement, convaincu qu’il est possible d’avancer et de mettre en œuvre des changements importants. J’explique ce que je veux annoncer et incarner le premier mois, ce qui pourra bouger dans les trois mois, et changer en six. […] Le lendemain, Gérald Darmanin, qui fait office d’intermédiaire discret entre le chef de l’État et moi, me fait savoir qu’Emmanuel Macron a été agréablement surpris par la tonalité de notre entretien. Et qu’il aurait ajouté que j’étais « le plus préparé, le plus motivé, le plus politique ».

Au lieu de tergiverser pour savoir si Emmanuel Macron me nommera Premier ministre ou pas, je préfère me mettre à travailler sans relâche. Je vais donc noircir des pages et élaborer dans les moindres détails des stratégies pour chaque ministère. (…) La trame de mon prochain gouvernement sera, bien entendu, à discuter avec l’ensemble des chefs des partis et le président, mais j’ai en tête le nom de quelques jeunes talents, comme celui d’Aurélien Pradié. Je souhaite aussi convaincre David Lisnard. Même si je connais ses ambitions présidentielles, je lui explique que c’est la fonction de ministre qui permet de nouer, ou pas, une relation directe avec les Français. J’entends également confier un portefeuille à Jean-François Copé. Pourquoi choisir celui qui a, si longtemps, été ma bête noire ? Pour deux raisons évidentes. Non seulement parce que nous avons réussi à faire table rase du passé, mais parce qu’en plus je le considère comme l’un des politiques les plus doués de sa génération.

Il va sans dire que cette feuille de route n’a rien d’une cohabitation lambda. Elle repose sur des idées originales. Je la veux inédite. Par téléphone et grâce au carnet d’adresses de Michel Bettan [NDLR : dirigeant d’Havas et ami personnel] , j’échange avec plusieurs hauts fonctionnaires du ministère de l’Économie et des Finances qui m’expliquent comment faire face au mur budgétaire. Je les écoute poliment, je raccroche insatisfait et je rappelle aussitôt Michel. « Il faut en trouver d’autres ! C’est terriblement conventionnel. Ils proposent toujours les mêmes solutions de facilité avec l’augmentation des impôts. Ça fait des années qu’on entend ce refrain. Or, je veux baisser les dépenses de l’État et pour ça, j’ai besoin de formules out of the box. » […]

Je suis sans nouvelles du président de la République et je me dis qu’il est passé à autre chose ou à quelqu’un d’autre, quand Gérald me fait savoir que le chef de l’État souhaite me rencontrer une deuxième fois, fin août. Je revois Emmanuel Macron au Touquet. Je suis arrivé discrètement à son domicile, une casquette sur la tête, ce qui fait dire à l’officier de sécurité qui m’accueille que je suis méconnaissable. Le président me reçoit dans l’arrière-cuisine, autour d’une table. L’entretien a sensiblement la même tonalité que le premier. Bernard Cazeneuve et moi figurons en haut de la short list.

Lundi 2 septembre 2024, cette fois, ma voiture s’engouffre par le 55 de la rue du Faubourg-Saint- Honoré, l’entrée officielle de l’Élysée. L’entretien avec Emmanuel Macron dure environ une heure. Ce troisième rendez-vous paraît solide, concret et très satisfaisant. Si bien que le soir même, le chef de l’État m’appelle et me demande de joindre au plus vite Édouard Philippe (Horizons), François Bayrou (MoDem) et Gabriel Attal (Renaissance) pour leur présenter mes projets. (…) Dans la soirée du 3 septembre, Nicolas Sarkozy me téléphone pour me féliciter. Il vient tout juste de raccrocher avec Emmanuel Macron, et d’après lui, je suis le prochain Premier ministre. « C’est sûr à 90 %, me lâche-t-il. — Écoute Nicolas, même si c’était sûr à 100 %, je crois que j’attendrais quand même le communiqué officiel. »

4 septembre L’entretien a lieu à 15 heures. Il est de notoriété publique que le chef de l’État arrive systématiquement en retard à ses rendez-vous. Pourtant, lors des trois précédents, il a fait preuve de ponctualité. Mais aujourd’hui, j’attends. Puis, l’huissier vient me chercher et me guide à travers le palais de l’Élysée jusqu’au bureau présidentiel. Je comprends immédiatement qu’Emmanuel Macron n’est plus tout à fait le même. Il est beaucoup moins placide, beaucoup moins souriant aussi. Jusqu’ici, il a toujours eu des notes sous la main qu’il n’a jamais consultées, mais cette fois, il les lit pour me lancer : — Tu sais exactement quels sont les enjeux, la stabilité du pays, et qu’il ne faut pas remettre en cause les réussites qu’on a pu avoir… Explique-moi, maintenant, comment tu n’es pas censuré ? — Écoutez Monsieur le président, si vous voulez la liste des soixante parlementaires, et notamment ceux de gauche, qui n’ont pas l’intention de me censurer ou d’allier leurs voix à celles du Rassemblement national, si vous voulez cette liste nominative avec leur engagement par écrit, je ne l’ai pas. [NDLR : Le 5 septembre, Michel Barnier est nommé Premier ministre.]

Les offres de Bayrou

Jeudi 5 décembre 2024, une semaine avant sa nomination, François Bayrou demande à me rencontrer au commissariat général au Plan, où, le matin même, il a déjà consulté Bernard Cazeneuve. Sa stratégie est simple, et il a d’ailleurs vendu l’idée à Emmanuel Macron : venir à Matignon avec Bernard Cazeneuve, Roland Lescure, et moi dans ses bagages ! — Tu veux faire quoi, Xavier ? C’est important que tu sois avec moi, on se connaît depuis longtemps et tu représentes une droite avec laquelle j’ai envie de travailler. Choisis le ministère que tu veux ! — Ça ne se passe jamais comme ça, François, tu le sais. — J’insiste, ce que tu veux ! — (…)

Quelques heures après l’officialisation de son arrivée à Matignon, François me passe un coup de fil : — Au moment où je te parle, ce ne sont encore que des pistes de travail, mais que dirais-tu d’un grand ministère de l’Environnement ? — Ah bon, tu me proposes ça, à moi ? Même si c’est un beau ministère, tu n’es pas sans savoir que je suis farouchement opposé aux éoliennes. Donc autant te dire que tu risques d’avoir un problème avec ta loi de programmation énergétique. — Et que penses-tu d’un grand ministère social ? — Écoute, j’ai fait ça, il y a vingt ans. Je pense qu’il y a de nouvelles personnes qui aujourd’hui ont certainement très envie de rejoindre un ministère des Affaires sociales. Je t’ai déjà dit ce qui m’intéresse : l’Économie, l’Éducation, la Défense si ce n’est pas Sébastien Lecornu… mais avant tout la Justice.

Samedi 21 décembre, je déjeune en famille à Saint-Quentin, chez Buffalo Grill, lorsque François me rappelle. Ce jour-là, il me sort de sa besace un tout nouveau ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche et de la Forêt. — Sur ce ministère, j’ai quelques questions à te poser. Est-ce que j’aurais la main sur le Mercosur ? Parce que je ne veux pas sa ratification ! Est-ce que je pourrais négocier avec les distributeurs ? Et aussi est-ce que j’aurais l’ascendant sur le ministère de l’Environnement ? Si oui, je pense qu’on peut rapidement mettre un terme à la crise agricole. Mais pourquoi tu me proposes ça ? L’Éducation, c’est mort, c’est ça ? — Oui, le poste est déjà attribué. – Et l’Économie et les Finances ? Sur le pouvoir d’achat, tu sais très bien que j’ai plein d’idées à proposer. Non, Bercy, c’est plutôt pour le camp du président. – Et quid du ministère de la Justice ? C’est vraiment celui pour lequel j’ai le plus d’idées. – Normalement, il sera attribué à François-Noël Buffet. – Pardon, mais je viens d’avoir Gérard Larcher et Bruno Retailleau au téléphone, tous les deux me disent que François-Noël serait désireux de rester à l’Outre-mer. – Ah non, sur l’Outre-mer, je ne peux pas. J’ai du lourd. Du très lourd ! – Écoute François, tu me dis que politiquement tu veux que je vienne avec toi, et quand il s’agit de prendre une de mes propositions, tu refuses. Alors c’est quoi le problème ? — […]

Dimanche, 22 décembre 2024, vers midi, l’Élysée me fait savoir que le président de la République ne verrait aucun inconvénient à me voir devenir garde des Sceaux. Il est vrai qu’en septembre dernier, j’avais clairement eu l’occasion d’expliquer à Emmanuel Macron ce que je comptais y faire, et qu’à l’époque, déjà, il semblait adhérer à mes idées. Quelques instants plus tard, nouvel appel de Bayrou, qui décide aujourd’hui d’accéder à ma demande pour le ministère de la Justice. [NDLR : Les deux hommes se rencontrent.]

En sortant de l’hôtel de Matignon, je file à Lens assister à la rencontre du soir face au PSG. Fait rare, Laurent Wauquiez cherche à me joindre pendant le match. Il m’explique qu’il voit d’un très bon œil ma future nomination au ministère de la Justice. Pourtant, je sais qu’il n’y est pour rien et que la nouvelle ne lui fait sans doute pas plaisir. Mais Wauquiez a toujours adoré prétendre être à l’origine de tout. [NDLR : C’est finalement Gérald Darmanin qui devient garde des Sceaux le 23 décembre 2024.]



Source link : https://www.lexpress.fr/politique/cest-sur-a-90-le-jour-ou-xavier-bertrand-a-failli-devenir-premier-ministre-X5Y4RKWWHZDA7K64JX6AKXQHVI/

Author : Eric Mandonnet

Publish date : 2025-10-21 16:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express