Les principaux chefs d’Etat européens se sont rendus à Charm el-Cheikh, lundi 13 octobre, soutenir l’accord de trêve obtenu par Donald Trump au Proche-Orient. Le retour des otages ; une trêve fragile ; une trêve, enfin. Dans laquelle l’Europe n’est hélas pas pour grand-chose, mais dont certains, en son sein, voudraient tout de même revendiquer une part de la paternité. Surtout notre président, il faut bien dire, qui, depuis l’Égypte, prenait des airs d' »acteur majeur » de la région. Cela m’a fait penser à une fable de la culture populaire russe : assise sur un bœuf qui revient des champs, une mouche dit à une autre « nous avons labouré. »
L’Europe a incontestablement un rôle à jouer au Proche-Orient. D’autant plus que l’écho des tirs, là-bas, s’y répercute souvent sur son sol, ici (voir l’édito de Luc de Barochez). Mais sur ce sujet comme sur d’autres, elle se perd dans de vaines arguties, les gesticulations des uns et les égarements des autres. L’Europe, s’en retournant de Charm el-Cheikh, disait : « nous avons labouré. »
En France, le jeudi 16 octobre marquait les cinq ans de l’assassinat de Samuel Paty. A cette occasion, un documentaire diffusé par Public Sénat revenait sur les derniers jours du professeur d’histoire-géographie. Onze jours se sont écoulés entre son cours sur la liberté d’expression calomnié par une élève absente et la décapitation du professeur dans une petite rue de Conflans-Sainte-Honorine. Ce qui frappe dans le détail de cette chronologie mortifère, c’est à quel point ces onze derniers jours sont, pour Samuel Paty, onze jours de solitude. Pendant lesquels il doit se justifier sans cesse. Auprès de la principale du collège ; auprès du référent laïcité dépêché par l’académie, qui l’accuse d’avoir « une appréciation inexacte de la laïcité et de la neutralité » ; auprès de certains de ses collègues qui se désolidarisent – deux d’entre eux envoient même un mail à l’ensemble de la communauté éducative où il est écrit : « Samuel a merdé. » A part quelques gestes de solidarité, le professeur, qui n’a pourtant rien fait que son métier, est seul.
Et parallèlement à cet enfer-là, la collégienne reçoit le soutien vindicatif de son père, qui lui-même peut compter sur l’appui d’un imam islamiste, qui se rend avec lui au collège pour l’y épauler. Et ces deux-là reçoivent des centaines de messages de solidarité sur les réseaux ; ils sont interviewés par une radio communautaire, et la mosquée de Pantin diffuse leurs vidéos… Ce qui saisit, dans le récit de ces onze jours, c’est l’asymétrie entre la solitude de Samuel Paty et le soutien dont jouissent ses détracteurs. Cette asymétrie dit tout d’une République qui, par irénisme, par lâcheté, par crainte des vagues et des remous, désarme, parfois, face à ceux qui la haïssent.
« Y a-t-il un constitutionnaliste pour sauver la France ? » Ils n’en demandent pas tant – ils ne le demandent même pas du tout – mais nos spécialistes de la Constitution sont de plus en plus érigés en nouveaux oracles : on les consulte comme s’ils détenaient la clef pour sortir la nation de l’ornière où elle s’enlise. Croire que le droit pourrait résoudre nos difficultés me semble relever d’une énième stratégie d’évitement face aux graves problèmes que nous traversons et qu’il va bien falloir regarder pour ce qu’ils sont : des problèmes politiques. Ces maux ne sont d’ailleurs pas propres à la France. Comme en natation synchronisée, la plupart des pays occidentaux vivent aujourd’hui le même schisme entre des métropoles tertiarisées, diplômées, et le reste du territoire qui se sent relégué, géographiquement comme culturellement.
Certains gagnants des métropoles commencent à en prendre conscience ; d’autres se radicalisent dans leur désir faire sécession. Ainsi, cette déclaration édifiante de l’écrivain Édouard Louis, dans une interview accordée cet été à la revue Le Grand Continent : « Les personnes qu’on croise dans les grandes villes sont beaucoup plus progressistes que dans le reste du pays. J’ai toujours rêvé d’un régime politique alternatif, dans lequel les villes et les campagnes auraient des gouvernements différents. Pourquoi Paris, Athènes et Berlin n’auraient-elles pas un seul et même gouvernement, et la campagne française et la campagne grecque un autre, si les campagnes votent à droite et les villes à gauche ? » Voilà qui a au moins le mérite de dire avec clarté l’état d’esprit d’une partie de la gauche.
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Author : Anne Rosencher
Publish date : 2025-10-22 09:30:00
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