Des retards « considérables » et « persistants » dans la mise aux normes des installations techniques. Le musée le plus visité au monde est-il le plus vulnérable ? Dans un pré-rapport consulté par France Info, la Cour des comptes alerte sur de nombreuses failles dans la sécurité du Louvre. En dépit d’un budget annuel de fonctionnement de 323 millions d’euros, « les montants engagés sont de faible ampleur au regard des besoins estimés », remarquent les sages de la rue Cambon, qui relèvent « une tendance à faire du lancement des travaux une variable d’ajustement budgétaire ». Le rapport éclaire d’une nouvelle lumière le spectaculaire cambriolage de ce dimanche 19 octobre. Quatre malfaiteurs se sont enfuis avec huit bijoux exposés dans la Galerie d’Apollon. Ils ont utilisé un monte-charge pour accomplir leur forfait.
Pour Michael Finkel, il ne faut pourtant pas accabler le Louvre. L’Américain est l’auteur du Voleur d’Art (Ed. Marchialy), un ouvrage sur Stéphane Breitwieser, surnommé « l’Arsène Lupin des musées ». Pour l’écrire, Finkel s’est longuement entretenu avec l’Alsacien, coupable de plus de deux-cents vols dans des musées français, suisses, ou encore néerlandais. De quoi se glisser le temps de quelques questions dans la peau des voleurs du Louvre.
L’Express : Vous ne semblez pas très sévère envers le Louvre. Depuis dimanche, les failles de sécurité du musée sont néanmoins soulignées. Un pré-rapport de la Cour des comptes a pointé des retards « considérables » et « persistants » dans la mise aux normes des installations techniques…
Michael Finkel : Depuis le vol, l’opinion publique, les médias et les politiques ont été unanimes à dénoncer la sécurité du Louvre. C’est vrai, ce vol est une tragédie. Cela étant dit, je vais peut-être faire entendre une voix différente, un peu plus indulgente. Pour mon livre, j’ai passé beaucoup de temps avec Stéphane Breitwieser, le Français qui est probablement le voleur d’art le plus prolifique de l’histoire. Sa devise était simple : quoi que fasse un musée, quel que soit son dispositif de sécurité, un individu suffisamment motivé trouvera toujours un moyen de voler. C’est inéluctable : il y aura toujours une tension entre notre besoin collectif de voir des oeuvres d’art, et la petite minorité désireuse de les voler pour leur propre gain.
La manière dont ce vol a été réalisé fait écho à ce que faisait Breitwieser. Il n’y a pas eu de blessé – mon ton serait évidemment beaucoup plus sévère si cela avait été le cas. Comme lui, les voleurs ont usé d’une méthode discrète, fluide. Breitwieser appelle ça « le crime invisible ». Lors de nos entretiens, il était assez dédaigneux des films de braquage, qu’il trouvait trop tapageur. Selon lui, pour voler un musée, la meilleure méthode n’est pas d’arriver avec des fusils à pompe et des grenades. Breitwieser allait jusqu’à acheter des tickets d’entrée des expositions qu’il allait détrousser. Il faisait le tour des salles en ayant l’air d’être un simple badaud, pour dérober des objets dans un instant d’inattention. Comme lui, les cambrioleurs ont fait preuve de créativité : un monte-charge, une disqueuse, un déguisement. Et cela a fait l’affaire. Ironie de l’histoire, Breitwieser n’a jamais voulu attaquer le Louvre. Sa petite-amie, Anne-Catherine Kleinklaus, était convaincue qu’il était beaucoup trop bien protégé pour qu’ils s’y risquent !
Les cambrioleurs ont démontré l’inverse ce 19 octobre…
Les musées sont dans une situation très étrange, pris dans un bras de fer entre l’accès aux oeuvres et leur protection. Leur objectif premier n’est pas nécessairement d’assurer la sécurité et la protection de toutes les oeuvres d’art, mais d’exposer et de permettre aux visiteurs d’en être au plus près. Ils ne sont pas aussi sécurisés que le coffre-fort d’une banque. Dans ce contexte, il paraît même surprenant que ce genre d’événements ne se produise pas davantage. Pensez-y : le Louvre est immense. Nous parlons du plus grand musée du monde. C’est un bâtiment de 73 000 mètres carrés qui accueille 30 000 visiteurs par jour, six jours sur sept. J’ai passé beaucoup de temps dans les salles les moins fréquentées de ce bâtiment. J’y étais souvent complètement seul, comme d’autres avant moi. Cela ne signifie pas pour autant que des vols se produisent chaque jour.
Ils sont même relativement rares. Aux Etats-Unis, le cambriolage le plus célèbre est celui de l’Isabella-Stewart-Gardner à Boston, en mars 1990. A l’époque, treize oeuvres d’art ont disparu dans la nuit, dérobées par deux hommes qui s’étaient fait passer pour des policiers appelés pour tapage nocturne. Les gardiens les avaient laissé entrer, et leur butin a atteint la somme colossale de cinq cent millions d’euros. Les toiles volées étaient toutes des tableaux de maîtres : Vermeer, Degas, Rembrandt… L’affaire est vertigineuse, et reste encore irrésolue. Mais elle date de plus de trente-cinq ans. Heureusement, les vols de cette dimension, ou de celui du Louvre, ne se produisent pas régulièrement ! Il s’agit d’occurrences regrettables, mais très rares.
Est-il possible, selon vous, que ce cambriolage ait pu être réalisé sur ordre d’un commanditaire-collectionneur ?
Oubliez l’image romantique du commanditaire fortuné qui veut s’offrir les joyaux de la couronne de France. De son côté, Breitwieser volait des pièces par amour de l’art. Il entendait les conserver. Son grand objectif dans la vie, était de se réveiller aux côtés des objets qu’il avait subtilisés la veille. C’était un kleptomane, un accumulateur, mais aussi un esthète. Ce type de profil est l’exception, pas la règle. La plupart du temps, les crimes liés à l’art sont purement crapuleux – particulièrement quand il s’agit de bijoux. Les voleurs de dimanche ne sont probablement pas des collectionneurs. Ils veulent avant tout de l’argent. Or, comme le Louvre l’a montré de manière saisissante, il est beaucoup plus simple de cambrioler un musée qu’une bijouterie et ses vitrines blindées.
Pensez-vous que ces pièces puissent un jour retrouver leur place au Louvre ?
Chaque minute qui passe réduit considérablement les chances de retrouver ces objets. Or, nous sommes cinq jours après le cambriolage, et il est déjà trop tard. Si un espoir existe de les retrouver en un seul morceau, il est très mince et ne se produirait que si les cambrioleurs sont adeptes de « l’art-napping » – une contraction d’art et de kidnapping. Ils ne rendraient les bijoux qu’en échange d’une rançon. Mais cela présenterait un acte d’une dangerosité considérable pour eux. Pensez-y : Breitwieser et Kleinklaus ont subtilisé des oeuvres pendant six ans sans se faire attraper pour une seule raison : ils les gardaient. Le point faible des voleurs d’art est finalement moins le détroussage en lui-même que la revente. Pour échapper à la justice, il faut vite tenter de faire disparaître l’objet du délit. Le plus probable est donc que ces pièces ont été démontées, leur or fondu et leurs bijoux retaillés. Ils auront évidemment perdu de la valeur : ils en tireront une somme bien inférieure au préjudice historique de 88 millions d’euros évalué par le Louvre. Mais cela reste une bonne affaire pour sept minutes de danger. Nous ne les reverrons pas. C’est une punition collective pour l’action de quelques individus.
Là est le tragique de l’histoire. Mais elle doit aussi nous rappeler une chose : les musées sont une invention humaine relativement récente. Le British Museum a été fondé en 1753 et a été accessible au public six ans plus tard. Le Metropolitan Museum, à New-York, en 1872. Le Louvre a ouvert il y a à peine un peu plus de deux siècles. Auparavant, le grand public n’avait pas l’opportunité de voir les grandes oeuvres d’art de l’humanité. Ces inventions fabuleuses sont confrontées aux velléités malfaisantes de quelques individus. Il y aura toujours une course entre les criminels et les mesures de sécurité à prendre pour les éviter.
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Publish date : 2025-10-24 18:21:00
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