Long de 275 mètres, le pétrolier Lynx s’est, à la fin de l’été, retrouvé coincé dans la banquise arctique. Non équipé pour la glace, le navire russe a dû attendre plusieurs jours pour recevoir de l’aide. Il a finalement repris sa route à vitesse réduite en direction de la Chine, afin d’y livrer jusqu’à 150 000 tonnes de pétrole.
Si la catastrophe a cette fois-ci été évitée, Olivier Faury, spécialiste de la route maritime du Nord, alerte sur les risques « importants » pris par la Russie pour contourner les sanctions économiques. « S’il y avait une marée noire dans ces zones nordiques, ce serait une catastrophe écologique majeure, combinant un environnement vierge et une capacité d’intervention très limitée. Tous les ingrédients d’un désastre seraient réunis », avertit le professeur associé à l’EM Normandie. Entretien.
L’Express : La flotte fantôme russe, qui pourrait compter jusqu’à 1 400 pétroliers selon l’UE, pose-t-elle un risque en termes de sécurité maritime et d’environnement ?
Olivier Faury : En soi, une flotte de navire ne pose pas de problème, si elle est gérée correctement et que les réglementations sont respectées. Le problème ici réside dans ce que nous appelons les navires fantôme car ils coupent le système AIS qui permet de les localiser. Ce sont aussi des navires âgés, parfois mal entretenus et pas toujours bien assurés.
Ces navires ne sont pas toujours adaptés aux conditions de navigation en Arctique, impliquant la présence de glace ce qui les rend particulièrement sensibles aux chocs avec des plaques de glace dérivantes ou avec d’autres navires qui naviguent en convoi. Les risques sont d’autant plus importants que les bateaux russes, pétroliers ou gaziers, ne disposent pas de la classe de glace leur permettant de naviguer dans ces zones. Cela veut dire que leur coque n’est pas renforcée et qu’ils ne disposent pas non nécessairement d’un moteur assez puissant. Ils sont donc bien plus vulnérables aux éléments externes, d’autant plus que ces navires russes fantômes empruntent la route maritime du Nord reliant l’océan Atlantique à l’océan Pacifique, afin de notamment rejoindre la Chine.
En mars, la collision entre un porte-conteneurs et un pétrolier en mer du Nord a fait un mort. C’est grave, mais cela aurait pu être bien pire si les navires étaient plus éloignés des côtes car le temps d’intervention des secours serait allongé.
En Arctique, c’est une autre histoire… Même si le navire émet un signal, il est peut-être très compliqué d’intervenir. La présence de glace, le faible nombre de ports pouvant servir de refuge ou la capacité de réponse limitée sont autant de facteurs jouant le rôle de catalyseur en cas d’accident.
Le réchauffement climatique ne vient-il pas en « aide » aux navires russes ?
Si la tendance globale est à la fonte de la banquise, la glace ne disparaît pas. On se retrouve avec des plaques de glace dérivantes. Une glace qui dérive et un navire qui entre en collision, cela rappelle quelques mauvais souvenirs…
Les navires qui ne sont pas équipés glace risquent de rentrer en contact avec de la glace, ou se retrouver bloqués, et dans les deux cas, cela peut engendrer des dégâts sur la coque et engendrer de la pollution. Les navires non adaptés font aussi peser un réel danger sur un écosystème fragile au niveau de résilience très faible. S’il y avait une marée noire dans ces zones nordiques, ce serait une catastrophe écologique majeure, combinant un environnement vierge et une capacité d’intervention très limitée. Tous les ingrédients d’un désastre seraient réunis.
Ainsi, l’un des enjeux principaux pour mitiger les risques liés à cette navigation est de prédire l’état de la glace que le navire va rencontrer, à plus ou moins court terme en intégrant de nombreux paramètres (courants marins, courants dans l’air…).
Cependant, il y a aussi une composante économique. Un navire avec une classe de glace n’a pas le même prix qu’un navire non équipé pour ces zones. De plus, le passage du Nord-Est n’est ouvert que pendant quelques mois. L’un des moyens pour une navigation plus sécurisée est d’être assisté d’un brise-glace en plus d’avoir un navire à coque renforcé. Les sanctions économiques du fait de la guerre en Ukraine, ont fortement impacté la construction de gaziers de classe polaire expliquant les risques maritimes importants pris par les Russes.
Les Russes auraient pour objectif de construire des brise-glace nucléaires colossaux
The Barents Observer a révélé que le pétrolier Lynx, qui faisait route entre Mourmansk et la Chine, a pendant plusieurs jours été coincé dans la banquise à 72° Nord, avant de recevoir de l’aide…
Le navire, qui transportait, selon ces informations, 150 000 tonnes de pétrole, n’avait pas la classe de glace. Ce pétrolier de la flotte fantôme a changé plusieurs fois de nom, de propriétaire et d’Etat de pavillon ces dernières années. Il est compliqué de savoir si on est passé près d’une catastrophe, mais dans tous les cas, quand un pétrolier est bloqué dans la glace sans l’équipement nécessaire, ce n’est jamais bon.
Dans une étude réalisée récemment avec mes co-auteurs Laurent Fedi, Laurent Etienne et Ali Cheaitou, nous avons montré que la première cause des accidents, ce n’est pas la glace, mais la vétusté des navires. La glace joue le rôle de catalyseur, aggravant la situation. Et s’il y a un problème dans l’Arctique, vous devez attendre plusieurs jours pour que des secours puissent accéder à votre navire.
A quel point les Chinois empruntent-ils aussi cette route du Nord ?
La Chine semble l’utiliser pour le transport de conteneurs, en alternative au canal de Suez. Dès 2018, Pékin a lancé une stratégie « route de la Soie polaire ». Le groupe danois Maersk avait aussi testé cette route il y a quelques années, mais l’impact d’un potentiel accident sur leur image, et la difficulté à respecter le temps de transport ont sans doute eu raison de leur souhait de naviguer dans cette partie du globe. Des groupes comme CMA CGM ou Maersk doivent transporter des marchandises d’un point A à B en temps et en heure. Le problème avec l’Arctique, c’est que les conditions de météo restent imprévisibles. Les Chinois envoient eux des navires plus gros, plus au nord, mais qui sont donc plus isolés.
Le canal Suez voit passer environ 13 000 navires par an. Aujourd’hui, la route du Nord n’est empruntée que par une centaine de navires. On est donc encore très loin d’un vrai axe rival. Je ne pense pas que l’ambition des Russes soit de concurrencer Suez. Il s’agit plutôt d’exporter leur pétrole et gaz et, en même temps, faire passer des conteneurs. Avec le renouvellement de la flotte de brise-glace, les Russes auraient pour objectif de construire des brise-glace nucléaires colossaux. La nouvelle classe leader devrait permettre d’assurer une navigation toute l’année…
Aux yeux de Poutine, la Russie est clairement la grande gagnant du réchauffement climatique…
Les ressources dans l’Arctique deviennent moins difficilement accessibles, la navigation des bateaux est moins compliquée, les risques diminuent, même s’ils demeurent conséquents. Mais n’oublions pas que le réchauffement climatique provoque la fonte du permafrost, qui libère du méthane et impacte les infrastructures terrestres, les rendant plus difficiles et coûteuses à maintenir…
De plus, les difficultés que rencontre le canal de Panama pourraient relancer l’intérêt nord-américain pour le passage du Nord-Ouest qui passe le long des côtes canadiennes.
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Author : Thomas Mahler
 Publish date : 2025-10-31 07:50:00
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