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Plébiscitées, mais à moitié vides : l’énigme des crèches municipales à Toulouse

Plébiscitées, mais à moitié vides : l’énigme des crèches municipales à Toulouse


Des berceaux vides, et des parents sur liste d’attente. « Le groupe des bébés n’est pas plein du tout, il y a des places vacantes, raconte Noémie*, déléguée du personnel dans une crèche municipale toulousaine. Le groupe des moyens non plus : nous sommes encore en train de rencontrer des familles. Il n’y a que dans le groupe des plus grands que nous sommes vraiment au complet ». Deux nouveaux nourrissons devraient s’ajouter à sa crèche la semaine prochaine. Mais Noémie ne comprend pas la logique. « D’un côté, la mairie nous demande de faire rentrer les enfants au maximum pour répondre aux besoins des parents. De l’autre, il suffit de discuter avec les autres professionnels pour comprendre qu’il est difficile de boucler les effectifs », poursuit-elle.

La situation déroute aussi les parents. Victoria, maman de jumeaux nés en juillet, s’est inscrite en juin sur la plateforme municipale. « Il faut attendre le sixième mois de grossesse pour pouvoir faire une demande », précise-t-elle. La décision devrait tomber à la fin du mois. « C’est long. Ça nous laisse aussi peu de temps pour trouver une solution, alors que mon mari est salarié et que je reprends le travail en janvier », explique-t-elle. Elle craint de vivre le même scénario qu’une de ses amies : « Elle a essuyé un premier refus cette année. Elle a finalement obtenu une place après avoir été placée sur liste d’attente, mais il était déjà trop tard : elle s’était tournée vers une crèche privée. » Ces mêmes crèches, qui au niveau national, ont récemment fait polémique pour leur suroccupation.

Dynamisme démographique

A Toulouse, un « audit flash » a tiré en juin 2025 la conclusion inverse. La Chambre régionale des comptes d’Occitanie constate que les EAJE (les établissements d’accueil du jeune enfant, qui rassemblent les crèches, les haltes garderies ou encore les multi-accueil) ne font pas toujours le plein. Au premier semestre 2024, le taux d’occupation réel des établissements municipaux atteignait à peine les 50 %. Un chiffre jugé « insuffisant », alors que le seuil d’alerte de la Caisse d’allocations familiales est supérieur de dix points. Ce calcul a une conséquence très concrète sur les crèches, car il sert à déterminer les financements fournis par la CAF. Des effectifs trop faibles risquent donc d’entraîner une baisse des recettes.

La situation est alarmante : les crèches de Toulouse sont à moitié vides.

Paradoxal, pour un territoire qui bénéficie d’une démographie dynamique malgré la baisse des naissances. Toulouse a franchi le cap des 500 000 habitants en 2023, et devrait bientôt dépasser Lyon. Une ville jeune, attirant les familles, et qui devrait logiquement remplir ses crèches. Or, lors de la publication du rapport, 1 600 familles restaient en attente d’une place après les commissions d’attribution. Reste aujourd’hui environ « 1 500 familles », détaille Laurence Katzenmayer, adjointe au maire de Toulouse (LR) en charge de la petite enfance. Parmi elles, des femmes enceintes et des jeunes mamans patientent pour janvier.

Des rythmes différents

Pour améliorer la situation, la mairie mise sur la mise en place d’un guichet unique, associé à plus de souplesse dans les conditions d’attribution des places. Mais la mairie nuance aussi le diagnostic de la CRC. « Nous ne parviendrons jamais à remplir une crèche à 100 %, prévient Laurence Katzenmayer. La Cour régionale des comptes et la CAF sont dans leur rôle en maniant des chiffres. Nous manions des valeurs humaines. » L’argument fait bondir dans l’entourage de la Cour régionale des comptes, à Montpellier. « On peut encore moins dire cela à un moment où les budgets sont contraints et alors que ces crèches bénéficient d’un financement public, indique une source. Quand le taux d’occupation est aussi faible, alors qu’il y a des familles en attente, il y a un problème de performance. »

Pour des professionnels toulousains, le taux ne suffit pas à lui seul à mesurer la performance réelle des établissements. « Ce calcul totalise toutes les heures inoccupées dans un établissement, sans regarder les horaires, remarque Marilyne Bessière, membre de la CGT et éducatrice de jeunes enfants à la mairie de Toulouse. Quand une crèche ouvre de 7 heures à 19 heures, les créneaux du tout début de matinée ou de fin de journée sont mécaniquement moins demandés. » Autrement dit, certains berceaux perçus comme « vides » ne le sont qu’à certaines heures. Selon Antoine Maurice, conseiller du groupe Toulouse écologiste et solidaire (dans l’opposition), l’un des remèdes est une meilleure adaptation aux réalités des usagers. « La logique jusqu’ici a été de considérer que les crèches sont d’abord pour les personnes qui travaillent cinq jours sur sept, estime-t-il. Or les besoins ne sont pas toujours les mêmes : les parents qui ne travaillent pas forcément n’ont pas les mêmes critères. Il faut prendre en compte davantage de diversité dans l’attribution des places. » La progression de la part de familles monoparentales, la présence de foyers précaires ou encore l’apparition du télétravail ont transformé les besoins d’accueil. Ils sont souvent plus ponctuels et moins uniformes que par le passé.

Désertion

A Toulouse, prendre la place d’un berceau libéré pour un accueil temporaire ou occasionnel a longtemps été difficile. « Depuis le début de l’année, les familles demandant un accueil de moins de vingt heures ont un accès direct auprès des directrices de crèches, ce qui permet de compléter l’occupation des crèches », souligne Laurence Katzenmayer. Des commissions d’attribution supplémentaires sont également organisées, dans le but de désengorger les listes d’attente. Sans parvenir à satisfaire tout à fait les parents, comme l’a expérimenté Thomas*, jeune papa : « J’ai fait ma demande en mars 2024 en réclamant une place pour mars 2025. Je n’ai pu faire rentrer mon enfant qu’en septembre ».

Les solutions proposées se heurtent à une autre réalité : la diminution du nombre d’assistantes maternelles et d’auxiliaires de puériculture, notamment liée à des départs en retraite non remplacés. A Toulouse, les assistantes maternelles employées en crèche familiale (dépendantes de la mairie) ont diminué de 177 en 2022 à 150 en 2024. Pour ce qui est des auxiliaires de puériculture, la municipalité est confrontée à une « pénurie », indique l’audit de la Cour régionale des comptes. « C’est une désertion, soupire Yannick T., du syndicat Sud-Collectivités Territoriales. Les conditions de travail sont difficiles, le métier est mal valorisé. Il y a peu de renouvellements, auxquels on doit ajouter un absentéisme important, symptôme d’une vraie souffrance ».

En 2024, les absences cumulées des auxiliaires de puériculture et des adjoints techniques – les plus concernés par le phénomène – s’élevaient à 76 agents équivalent temps plein – contre 69 l’année précédente. Une aggravation continue, alors que le nombre d’enfants accueillis dépend de celui des encadrants. A Toulouse, la règle est fixée à un professionnel pour cinq enfants qui ne marchent pas, puis un pour huit. En cas d’absence, des berceaux disponibles deviennent inaccessibles – car personne ne peut les surveiller. « Et cela décourage les parents ! Plusieurs fois, des papas et des mamans qui avaient obtenu leur place en crèche ont décidé de renoncer, raconte Noémie. Je les comprends : voir un établissement en sous-effectif, avec des bébés qui pleurent et du personnel stressé, ça ne donne pas envie ».

Confrontée à l’absentéisme de ses agents, la ville de Toulouse est donc priée par la Cour régionale des comptes de trouver des solutions pour les « fidéliser ». Son cas est loin d’être exceptionnel : 48,6 % des crèches collectives ont déclaré un manque de personnel en 2022. La tendance risque de s’accroître dans les années à venir. D’ici à 2035, 42 % des assistantes maternelles devraient partir à la retraite en France, tous secteurs confondus.

* Le prénom a été changé



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Author : Alexandra Saviana

Publish date : 2025-11-19 06:00:00

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