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Pr Mahmoud Zureik : « Sur les vaccins anti-Covid, les fake news de l’administration Trump atteignent des sommets »

Pr Mahmoud Zureik : « Sur les vaccins anti-Covid, les fake news de l’administration Trump atteignent des sommets »


Avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche et surtout de Robert F. Kennedy Jr à la tête de l’administration de la Santé américaine, les défenseurs de la santé publique s’attendaient au pire. Ils n’ont pas été déçus : coupes claires dans les budgets de la recherche, désinformation sur l’autisme et le VIH, démantèlement des infrastructures de santé et surtout… attaques massives et répétées contre la vaccination.

Particulièrement dans le collimateur du nouvel exécutif américain : les injections anti-Covid. Les vaccins à ARN messager seraient dangereux pour les femmes enceintes et leurs foetus, et – dernière accusation en date – ils se trouveraient même à l’origine du décès de plusieurs enfants. Des accusations qui laissent les spécialistes sceptiques, les données brutes utilisées étant unanimement reconnues comme peu fiables. Face à cette désinformation à flot continu, d’autres pays poursuivent heureusement leurs programmes de surveillance et d’évaluation rigoureuses de ces injections.

En France, grâce aux bases de données exhaustives de l’Assurance maladie, le groupement Epi-Phare a multiplié les études. Au fil des mois et des années, les travaux de cette équipe d’épidémiologistes ont montré que les vaccins protégeaient bien contre les formes graves, qu’ils n’étaient pas associés à des risques plus élevés de maladies cardiovasculaires, et qu’ils pouvaient être utilisés en toute sécurité pendant la grossesse. A l’inverse, les mêmes chercheurs ont aussi confirmé une petite augmentation du risque de myocardite ou de saignements de règles abondants après la vaccination.

Cette fois, ces scientifiques se sont attachés à évaluer l’effet de la vaccination sur la mortalité toutes causes – un des meilleurs indicateurs pour évaluer la sécurité des injections. Et, encore une fois, une façon de répondre objectivement, avec des données solides, aux fausses informations toujours très présentes sur les réseaux sociaux. Le directeur d’Epi-Phare, le Pr Mahmoud Zureik, détaille les résultats de ce travail pour L’Express. Entretien.

L’Express : Vous avez mené une étude sur le lien entre la vaccination contre le Covid et la mortalité toutes causes. Quelles en sont les conclusions ?

Pr Mahmoud Zureik : A partir du Système national des données de santé (SNDS) qui regroupe plusieurs bases de données de l’Assurance maladie, nous avons pu étudier le risque de mortalité toute cause après vaccination par un vaccin à ARN messager pour plus de 22 millions de personnes adultes vaccinées comparées à 5,9 millions de non-vaccinées, suivies pendant une durée de quatre ans.

Grâce au nombre de personnes incluses, à l’exhaustivité et la qualité de nos données, ainsi qu’à la méthodologie utilisée, nos résultats montrent clairement que l’on peut exclure tout sur-risque de décès lié au vaccin Covid à base d’ARN messager. Au vu des mécanismes biologiques de ces vaccins et des données dont nous disposions déjà, nous nous doutions un peu de ces résultats.

Pourquoi, dans ces conditions, avoir mené cette étude ?

D’abord parce que ces vaccins sont relativement nouveaux. Leur balance bénéfice-risque avait jusqu’ici été très bien étudiée à court terme, mais moins à moyen-long terme comme nous venons de le faire. Or il n’est pas exclu que des effets indésirables surviennent à plus long terme. Même s’ils paraissaient peu probables, il était nécessaire de s’en assurer. D’autant plus que la désinformation sur ces vaccins reste très importante. Les rumeurs sur de prétendus « turbo cancers », des maladies cardiovasculaires, ou de mort subite en lien avec la vaccination continuent de circuler sur les réseaux sociaux.

Ces fake news ont même atteint des sommets ces derniers mois, puisque l’administration américaine elle-même s’est mise à en diffuser, à la stupeur du corps médical américain et des sociétés savantes. Les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) ont ainsi laissé entendre par exemple que les vaccins pouvaient être néfastes pour les femmes enceintes et leurs fœtus, à partir de données de pharmacovigilance brutes qui n’ont aucune forme de validation scientifique. Une autre de nos études, publiée le mois dernier, a montré en réalité tout le contraire, toujours à partir des bases de données exhaustives de l’Assurance maladie française.

Ces derniers jours, la FDA a fait état de décès d’enfants, mais sans étayer ces assertions, qui semblent reposer sur des données de pharmacovigilance inexploitables en l’état. Nos travaux, que nous publions dans des revues internationales après revue par les pairs, sont aussi une manière d’essayer de répondre à ces fausses informations.

Le Pr. Mahmoud Zureik, médecin de santé publique spécialisé en épidémiologie, dirige Epi-Phare

Vos données semblent même montrer un effet protecteur contre les risques de mortalité avec le vaccin Covid, mais vous n’insistez pas sur ce résultat dans vos conclusions. Pour quelles raisons ?

En effet, le taux de mortalité des personnes vaccinées est inférieur d’environ 20 % à celui des non-vaccinées. La première raison, c’est que ces personnes sont toujours protégées des formes graves du Covid, même quatre ans après la première injection. Par ailleurs, le vaccin protège aussi du Covid long, des complications thromboemboliques et cardiovasculaires liées à l’infection par le Covid. Mais nous savons également que les personnes acceptant de se vacciner tendent aussi à faire davantage attention à leur santé et adoptent des comportements dans l’ensemble plus protecteurs.

Donc indépendamment des vaccins, les non-vaccinés s’avèrent plus à risque de décéder. Il s’agit là d’un biais bien connu en épidémiologie, que nous avons pu corriger en grande partie, mais nous savons que nos méthodes statistiques ne suffisent pas à l’effacer totalement. C’est pourquoi il nous paraît plus raisonnable de conclure simplement que la vaccination n’augmente pas le risque de décès.

Des liens étonnants ont été suggérés entre le Covid et le cancer : les personnes tombées malades auraient un risque augmenté de tumeur, et à l’inverse, les injections pourraient renforcer l’efficacité de l’immunothérapie… Qu’en est-il réellement ?

Avec l’équipe du Pr Antoine Flahault, nous avions montré dans un article publié dans Scientific Reports que les patients hospitalisés en réanimation pour Covid présentent effectivement un risque un peu plus élevé de développer un cancer par la suite. Cet effet a été retrouvé par d’autres équipes. Nous pensons que ce phénomène peut être lié à une immunité déficiente : si vous avez été hospitalisé pour Covid, c’est que votre système immunitaire n’a pas joué son rôle pour vous protéger du virus. Il est donc probable qu’il ne parvienne pas non plus à lutter efficacement contre les cellules cancéreuses.

En revanche, j’ai critiqué l’article paru récemment dans la revue Nature selon lequel les vaccins anti-Covid doperaient l’efficacité des immunothérapies contre le cancer et amélioreraient la survie des patients atteints d’une tumeur pulmonaire ou d’un mélanome. L’effet décrit, un doublement des taux de survie, paraît nettement exagéré, ce serait une véritable révolution thérapeutique si c’était vrai. Il n’est pas exclu qu’il y ait effectivement un bénéfice, mais probablement bien moindre que ce qui a été décrit. Nous avons d’ailleurs nous-mêmes lancé une étude sur ce sujet pour vérifier et quantifier cet effet.

Votre dernière publication sur la mortalité toutes causes porte sur les adultes âgés de 18 à 60 ans : pourquoi avoir restreint ainsi la population étudiée ?

Les formes graves de la maladie sont beaucoup moins fréquentes avant 60 ans, même s’il y a quand même eu plus de 180 000 hospitalisations et plus 4 500 décès dans cette tranche d’âge, pour l’essentiel avant l’arrivée de la vaccination. A l’inverse, les vaccins peuvent donner dans de rares cas des complications comme des myocardites, notamment chez les hommes jeunes. Il était donc d’autant plus important de vérifier dans cette population la sécurité à long terme des vaccins et de s’assurer que la balance bénéfice-risque restait bien favorable. Notre étude montre clairement que c’est le cas. Contrairement à ce que l’on entend régulièrement, il était donc pertinent de proposer à la totalité de la population de se vacciner durant la pandémie.

Vous disiez que l’efficacité des vaccins perdurait à quatre ans. Cela signifie-t-il que les rappels sont inutiles ?

Pour les personnes âgées ou fragiles qui sont toujours à risque élevé de formes graves de la maladie, la vaccination reste indispensable. Pour les moins de 60 ans en bonne santé, cela paraît aujourd’hui moins justifié. Ils peuvent se faire vacciner à titre individuel s’ils le souhaitent, mais il n’est plus nécessaire, dans le contexte actuel de la circulation virale et de l’immunité acquise par les vaccins déjà pris ou par l’infection d’en faire une politique de santé publique.

Vos travaux sont souvent l’objet de critiques de la part de la sphère antivax. Vous attendez-vous à ce que ce soit encore le cas cette fois-ci ?

Bien sûr, c’est la même chose à chaque fois et il est extrêmement difficile de lutter contre. C’est une cause perdue… Mais ce que je souhaite dire ici que notre équipe travaille en totale indépendance, que ce soit vis-à-vis de nos administrations de tutelle, l’Assurance maladie et l’Agence nationale de sécurité du médicament, du gouvernement ou des laboratoires pharmaceutiques. Epi-Phare ne fonctionne que sur des budgets publics et chaque agent rédige une déclaration publique d’intérêt qui est consultable sur le site du ministère de la santé. C’est un point crucial pour renforcer la confiance entre les citoyens et les autorités.

Nos précédents travaux, que nous nous efforçons de publier dans des revues scientifiques de premier plan après évaluations par les pairs, montrent par ailleurs que nous sommes aussi capables de pointer les risques liés aux produits de santé, quand ils existent. Nos travaux ont par exemple permis de mettre en lumière le risque de myocardite post-vaccination Covid chez les hommes jeunes avec le produit de Moderna, ce qui a amené la Haute Autorité de Santé à en limiter l’usage dans cette population.

Nous avons aussi pu estimer la proportion de femmes concernées par des saignements de règles importants après la vaccination. Sur d’autres sujets que le vaccin, nous avons par exemple mis en évidence les risques de troubles neurodéveloppementaux chez l’enfant après exposition maternelle ou paternelle au valproate [NDLR : indiqué dans le traitement de l’épilepsie et des troubles bipolaires]. Nous avons également identifié et quantifié le risque de méningiome intracrânien après exposition aux progestatifs. Nous ne sommes ni pour ni contre un produit de santé ou un autre. Nous cherchons simplement à rapporter des données robustes pour faciliter les décisions publiques et individuelles avec pour seul objectif l’amélioration de la santé des Françaises et des Français.

La complosphère s’agite en ce moment autour d’une étude similaire à la vôtre qui aurait été menée en Grande-Bretagne, qui montrerait une mortalité en excès après la vaccination. Qu’en pensez-vous ?

Rappelons d’abord que, contrairement à la population française, la population britannique a majoritairement été immunisée avec le vaccin d’AstraZeneca, dont le profil de sécurité s’est avéré moins bon que celui des vaccins à ARN messager. Mais s’agissant de rumeurs autour d’un travail non publié, il est difficile d’apporter des commentaires supplémentaires.



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Author : Stéphanie Benz

Publish date : 2025-12-04 16:00:00

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