La facture est salée et inévitable, d’après le think tank Terra Nova. Une ponction, en moyenne, de 4 000 euros par an et par ménage : voici la feuille de route écrite par Guillaume Hannezo, professeur associé à l’Ecole normale supérieure, pour rétablir les comptes budgétaires de la France. Dans un rapport publié récemment, cet ancien conseiller de François Mitterrand défend une hausse de la TVA ou de la CSG, un gel ou une désindexation des retraites… Hausses d’impôts et baisse de dépenses, la seule recette possible selon cet expert pour stabiliser notre endettement public aux alentours de 120 % du PIB. La Leçon principale des expériences passées en France, notamment en 1958, et partout en Europe.
L’Express : Pour retrouver le contrôle de nos finances publiques et stabiliser notre ratio d’endettement à 120 % du PIB, il faut trouver entre 100 à 120 milliards d’euros. Le projet de loi de finance de la Sécurité sociale (PLFSS), voté de justesse hier à l’Assemblée nationale, est moins rigoureux que la copie initiale présentée par le gouvernement. Est-ce une nouvelle forme de renoncement ?
Guillaume Hannezo : C’est avant tout l’indication qu’il y a peut-être une majorité relative pour éviter d’empirer les choses en bloquant tout avec des polémiques politiciennes. Mais cela renvoie l’essentiel du redressement budgétaire à l’après élection présidentielle de 2027. Pendant la campagne, chaque candidat devra donc sortir du bois et dire comment il compte s’y prendre.
Le récent débat sur le PLFSS a illustré la réticence de tous les partis politiques à mettre à contribution les retraités, par un gel ou une sous-indexation des pensions, voire la suppression de l’abattement de 10 % pour frais professionnels. Comment faire la pédagogie de telles mesures ?
Cette réticence est normale puisque les retraités votent. Mais nous sommes dans une situation étrange : la nation s’endette de 2 à 3 points de PIB par an de plus que ses voisins pour offrir aux retraités un pouvoir d’achat au moins égal à celui des actifs, et comme ils ont moins de besoins que les actifs, ils épargnent plus que les actifs, et ce d’autant plus qu’ils sont vieux et que leurs revenus sont confortables. Toute la génération d’actifs actuelle s’endette donc pour arrondir l’héritage que recevront les héritiers des classes bourgeoises. Il faut désamorcer cette boucle infernale, en réduisant progressivement la part des pensions dont les retraités n’ont pas l’usage, tout en préservant évidemment les intérêts des plus modestes.
Vous affirmez que la France ne pourra pas passer à côté d’une augmentation des impôts. Alors que le taux de prélèvements obligatoires et le ratio dépenses publiques sur PIB sont déjà parmi les plus élevés d’Europe. Une autre voie n’est-elle pas possible ?
Tous les redressements français et européens se sont faits avec à la fois des hausses d’impôt et des baisses de dépenses, et la différence entre les deux n’est pas si radicale que cela, car les dépenses de l’Etat ne vont pas dans des « trous » : elles vont dans la poche des gens. Nos dépenses les plus élevées viennent pour l’essentiel de choix de redistribution, sur la maladie, les retraites, le chômage, les aides au logement… Baisser les dépenses a le même effet qu’augmenter les impôts : cela affecte le pouvoir d’achat des ménages.
Avec nos prélèvements obligatoires, qui ont d’ailleurs été réduits de 65 milliards entre 2017 et 2024 – c’est la première cause de l’explosion des déficits -, nous finançons des dépenses obligatoires : l’assurance santé, l’éducation, les retraites. Bien sûr, on pourrait avoir un autre équilibre, en privatisant tout cela. Le système serait-il plus efficace ? Ce n’est pas certain. C’est une autre manière, comme la hausse des impôts, de reprendre du pouvoir d’achat aux gens, qui devraient payer pour ce qui était avant gratuit. Je n’y suis pas favorable, mais ceux qui le sont n’ont qu’à le dire !
La France est-elle en mesure de supporter socialement et politiquement un choc de pouvoir d’achat – 4 000 euros par ménage et par an – tel que vous l’envisagez ?
Les ménages le plus aisés et les entreprises doivent d’abord prendre leur part, et il faut bien sûr mettre fin à des abus : cela représentera environ un tiers de l’effort. Ce qui reste à la charge des « 99 % », c’est donc plutôt 2 500 à 3 000 euros en moyenne, 4 à 5 % de pouvoir d’achat. Le pouvoir d’achat des ménages a crû de 13,3 % depuis 2017 globalement, ce qui ne préjuge pas de la façon dont le pouvoir d’achat a été réparti. Mais ils ne l’ont pas dépensé, puisque le taux d’épargne a augmenté de plus de 4 %, de 14 à 18,5 %.
Ce qui est frappant, c’est la sagesse collective des Français. Tout se passe comme s’ils étaient conscients que le pouvoir d’achat distribué par Emmanuel Macron est en partie, – et ils savent même de combien – de la fausse monnaie, qui ne durera pas. Ils se préparent donc à être taxés, que ce soit par la hausse des impôts ou la baisse des dépenses publiques. En attendant, ils mettent de l’argent de côté. Si quelqu’un leur redonne confiance et trace un avenir réaliste, cela peut se renverser. Bien sûr, il faudra reprendre le plus possible sur les revenus qui sont épargnés, pour limiter l’impact sur la conjoncture.
En quoi l’expérience du rétablissement des comptes en 1958-1960 peut-elle être un exemple ?
1958, c’est aussi loin qu’il faille remonter pour avoir un exemple où la France ait redressé ses comptes de près de 4 % de PIB, puisque le dérapage budgétaire que nous avons connu depuis 2018, où Emmanuel Macron avait hérité de déficits inférieurs à 3 %, excède celui de 1981. Elle l’a fait avec de fortes hausses d’impôt, durables sur les plus favorisés, provisoires sur les entreprises, et horizontales sur tous (TVA, droits d’accise). Avec des désindexations et des baisses de dépenses aussi, dont l’effet a été plus temporaire.
Récemment, l’Espagne, le Portugal, l’Italie ont également réussi ce genre de redressement, et atteint des excédents primaires, hors charge de la dette. Sans compter le cas de la Grèce, qui montre ce qu’il en coûte de laisser les choses dériver jusqu’à une crise aiguë et un défaut de l’Etat. La leçon est partout la même : tout le monde paie, et il y a à la fois des hausses d’impôts et des baisses de dépenses.
En matière d’impôts justement, vous défendez une hausse de la TVA ou de la CSG. Or, la TVA est perçue comme un impôt injuste qui fait monter les prix. Et la CSG comme une taxe qui pèse aussi sur le travail…
Bien sûr, cela ne doit être que pour le solde, après que l’Etat a demandé un très gros effort aux plus riches, après qu’il a mis fin à certains abus, après qu’il a ajusté un peu à la baisse sa « politique de l’offre », après enfin qu’il a réduit les revenus épargnés des retraités. Le mix ne sera pas le même selon la majorité et les choix politiques. Mais il n’y a pas d’exemple de redressement de cette taille sans augmentation des impôts que tout le monde paie, avec un fort rendement, une assiette large, et des hausses de taux modérées. La CSG a été faite pour cela. Quant à la TVA, elle est plus basse en France que dans tous les pays européens ayant des dépenses publiques élevées ou ayant rencontré des difficultés financières, et son poids sur les plus modestes peut être ajusté en préservant le taux réduit, en indexant les minimums sociaux, ou en adaptant la progressivité des impôts directs.
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Author : Béatrice Mathieu
Publish date : 2025-12-11 04:45:00
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