Le New York Magazine a choisi pour sa couverture du 27 janvier une photo représentant des jeunes conservateurs pro-Trump sous le titre « La table des enfants cruels ». Les enfants cruels en question sont blancs, très bien habillés, souriants voire carnassiers, ils sentent le fric et on se croirait dans le visuel d’un roman de Bret Easton Ellis, autrement dit dans les années 1980 à Wall Street version pro-Reagan. Seulement voilà : l’électorat de Donald Trump ne ressemble pas à ce visuel. Pire : le cadrage exclut les personnes noires que l’on retrouve sur la photo non recadrée du reportage et ne sont pourtant pas mentionnés. Le président du mouvement American Conservation Coalition (ACC) Christophe Barnard a vivement réagi sur X : « Le New York Magazine a littéralement effacé toutes les personnes noires de cette photo de couverture et s’est ensuite plaint que « toute la pièce était blanche ». CJ Pearson, activiste républicain afro-américain enfonce le clou : « J’ai organisé cet évènement et le New York Magazine m’a volontairement laissé de côté car cela aurait affaibli leur récit selon lequel MAGA est une sorte de secte raciste. » On ne combat pas la désinformation par la désinformation, on ne combat pas Donald Trump en jouant à l’autruche, la tête profondément enfoncée dans le sable du déni.
En 2016, Donald Trump avait gagné avec les ouvriers et les employés « petits blancs », déstabilisés économiquement et culturellement. Le narratif démocrate était alors simple, nous y avions tous souscrit : la victoire de Trump est le dernier râle d’une Amérique âgée et blanche en train de disparaître devant la réalité multiculturelle du pays. Ce n’est qu’une parenthèse qui se refermera. Seulement voilà, ni la défaite de Donald Trump en 2020, ni l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021, ni les multiples procès, ni les condamnations, ni les enquêtes au long cours, ni les bons résultats de Biden, ni les outrances délirantes de Trump ne l’ont empêché d’être réélu.
Et comme Trump l’a dit lui-même le jour de sa seconde victoire : il a été réélu grâce à la « coalition la plus grande, la plus large, la plus unifiée ». Les Latinos ont voté à près de 45 % pour Trump, soit 7 points de plus qu’en 2016 – au nom de l’inflation et de l’immigration. Les Afro-Américains n’ont pas davantage voté pour Trump, son score reste de 12 % comme en 2020, mais ils ont moins voté pour Kamala Harris (86 % contre 90 % pour Biden en 2020). En revanche, si on regarde au niveau des Etats, on peut constater qu’en Caroline du Nord, Trump a remporté 12 % du vote afro-américain, alors qu’il ne dépassait pas les 5 % en 2020… Cependant, aussi contre-intuitif que cela paraisse, Donald Trump a perdu 3 points dans le vote de la population blanche où il n’est plus qu’à 55 % – il atteignait les 58 % en 2020. Enfin, c’est chez les 18-29 ans qu’il a fait un carton, il a convaincu 42 % d’entre eux, soit une progression de 6 points.
Donald Trump retourne la table planétaire
La vérité est beaucoup plus réjouissante que la couverture tronquée du New York Magazine : ce n’est plus la race, d’après la terminologie utilisée par les Américains, qui dicte le vote – et c’est heureux –, mais le niveau socio-économique et éducatif : 54 % des électeurs sans diplôme universitaire ont préféré Trump en 2024, soit 4 points de plus qu’en 2020. Le sexe constitue une nouvelle ligne de partage électoral que l’on retrouve partout dans le monde occidental : les femmes et les diplômés votent davantage démocrate, les hommes et non-diplômés républicains- chez les Blancs comme au sein des minorités. Une réalité passionnante et inquiétante à prendre en compte mais qui passe sous les radars. Pourquoi ? Parce que c’est moins « vendeur » que le clivage Blanc/minorité ?
Donald Trump retourne la table planétaire, il donne des coups de pied rageurs dans la fourmilière du monde – plus ou moins équilibrée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – il n’agit pas différemment à l’intérieur, coupant des budgets ici, décrétant la fin du financement des transitions sexuelles pour les mineurs là, remettant en cause les politiques diversités et inclusions d’un trait de sa signature : pas un jour ne se passe sans que le président américain envoie une décharge électrique dans les institutions. Y répondre par la panique morale qui brouille la vue et bouche les perspectives ne fera que le renforcer.
Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste
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Author : Abnousse Shalmani
Publish date : 2025-02-07 11:00:00
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