C’est une explosion de violence qui témoigne de la fébrilité du nouveau gouvernement syrien, trois mois à peine après la chute du dictateur Bachar el-Assad. Le président Ahmed al-Chareh a appelé, ce dimanche 9 mars, à l’unité nationale et à la paix civile après la mort, selon une ONG, de centaines de personnes, en majorité des civils de confession alaouite, par des partisans du nouveau régime.
Après la France samedi, l’Allemagne a qualifié ce dimanche la situation de « choquante » et exhorté le gouvernement de transition à « empêcher de nouvelles attaques, enquêter et demander des comptes aux responsables ». « Les tueries de civils dans les zones côtières du nord-ouest de la Syrie doivent cesser, immédiatement », a pour sa part déclaré Volker Türk, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, dans un communiqué. Voici ce que l’on sait de la situation actuelle.
Pourquoi de tels affrontements ?
Tout a commencé après une attaque sanglante, jeudi 6 mars, menée par des partisans de Bachar el-Assad contre les actuelles forces de sécurité à Jablé, près de Lattaquié, dans l’ouest du pays – un ex-bastion du pouvoir déchu où vit une importante communauté musulmane alaouite (une branche de l’islam chiite), dont est lui-même issu le clan Assad. Après l’attaque, les forces de sécurité ont envoyé des renforts et lancé d’importantes opérations dans la région. Qui sont accusés d’avoir mené des représailles contre des civils.
Qui sont les victimes des exactions ?
L’Observatoire des droits de l’Homme (OSDH), qui dispose d’un vaste réseau de sources en Syrie, fait état « d’exécutions sur des bases confessionnelles ou régionales ». Il évoque « 745 civils alaouites tués dans les régions de la côte et les montagnes de Lattaquié », où vit une forte communauté alaouite, « par les forces de sécurité et des groupes affiliés » ces derniers jours. Au moins 273 membres des forces de sécurité et des combattants pro-Assad ont aussi péri, a précisé l’OSDH.
Sur les réseaux sociaux, des témoignages évoquant des exactions contre les civils alaouites se sont multipliés, émanant de proches ou amis des victimes, bien que les images n’aient pas, pour l’heure, pu être authentifiées. A l’AFP, une famille alaouite vivant sur la côte syrienne a raconté avoir dû se cacher pour échapper aux massacres. « Quand nous avons pu fuir notre quartier d’Al-Qoussour, nous avons vu les rues pleines de cadavres », a ainsi expliqué Rihab Kamel, mère de famille de 35 ans.
Comme celui-ci, les témoignages de liquidations méthodiques se succèdent. A Banias, toujours sur la côte, Samir Haïdar, un Alaouite de 67 ans qui a lui-même été emprisonné sous le régime d’Assad, a vu ses frères et son neveu périr dans une attaque. L’OSDH et des militants ont publié vendredi des vidéos montrant des dizaines de corps en vêtements civils empilés dans la cour d’une maison, des femmes pleurant à proximité. Dans une autre séquence, des hommes en tenue militaire ordonnent à trois personnes de ramper en file, avant de leur tirer dessus à bout portant.
Pour sa part, une source sécuritaire citée par l’agence officielle Sana a fait état vendredi « d’exactions isolées », les imputant à des « foules » agissant en représailles à « l’assassinat de plusieurs membres des forces de police et de sécurité » par des « fidèles de l’ex-régime ».
Qu’est-ce que cela révèle de la situation du pays ?
Pour Ahmed al-Chareh, qui a dirigé la coalition islamiste sunnite ayant renversé Bachar el-Assad le 8 décembre, « ces défis étaient prévisibles ». S’exprimant lors d’un discours dans une mosquée de Damas, il a appelé à « préserver l’unité nationale et la paix civile autant que possible, ajoutant, si Dieu le veut, nous serons capables de vivre ensemble dans ce pays ». De leurs côtés, les églises syriennes ont, elles aussi, dénoncé les « massacres de civils innocents » et appelé « à une fin immédiate de ces actes horribles ».
Alors que le rétablissement de la sécurité est le principal défi pour le nouveau pouvoir syrien après plus de 13 ans de guerre civile, Ahmed al-Chareh avait appelé vendredi les insurgés alaouites à « déposer les armes avant qu’il ne soit trop tard ».
Samedi, le ministère de la Défense a indiqué que « les routes menant à la région côtière ont été fermées afin de prévenir les exactions ». Et l’ordre a été donné aux forces de sécurité de « ramener l’ordre » à Jablé, Tartous et Lattaquié. Il a fait état de l’arrestation d’un « grand nombre de pillards ». Le ministre de l’Education, Nazir al-Qadri, a annoncé la fermeture des écoles ce dimanche et lundi dans les provinces de Lattaquié et de Tartous.
Quelle responsabilité pour le gouvernement actuel ?
Le 8 décembre, une alliance de rebelles islamistes sunnites menée par le groupe radical Hayat Tahrir al-Cham (HTC), dont est issu Ahmed al-Chareh, est parvenue à renverser Bachar al-Assad, désormais réfugié à Moscou avec sa famille.
Pour Aron Lund, du centre de réflexion Century International, la flambée de violences témoigne de la « fragilité du gouvernement », dont une grande partie de l’autorité « repose sur des djihadistes radicaux qui considèrent les Alaouites comme des ennemis de Dieu ».
Depuis son arrivée au pouvoir, Ahmed al-Chareh s’efforce de rassurer les minorités et a appelé ses forces à faire preuve de retenue et éviter toute dérive confessionnelle. Mais cette ligne n’est pas nécessairement partagée par l’ensemble des factions qui opèrent sous son commandement, selon Aron Lund. De quoi laisser craindre que les violences ne persistent.
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Publish date : 2025-03-09 13:50:00
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