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« L’imaginaire est une réalité » : Michel Pastoureau, l’histoire d’un conteur

« L’imaginaire est une réalité » : Michel Pastoureau, l’histoire d’un conteur

Dans son avant-propos, Michel Pastoureau, présume que le titre de son livre L’imaginaire est une réalité (Seuil), intriguera certains lecteurs. Pour qui nous prend-il ? Nous savons tous que Dieu n’existe pas, ce qui ne l’empêche pas d’être une réalité. Nous savons aussi que la réalité est un concept qui fait partie de notre imaginaire. A la différence du réel qui se passe très bien de nous.

On sent qu’il a souffert au cours de ses études, puis de ses recherches, de l’ostracisme de certains de ses prédécesseurs à l’égard des choses de l’imaginaire, croyances, symboles et rêves. On ne fait pas que le sentir, d’ailleurs, il nous le dit clairement. Et c’est ce qui fait de ce livre un moment très agréable : on apprend et on comprend parce qu’il nous raconte comment il a appris. On devient l’ami de son érudition. Il nous y emmène par la corde sensible, tissée de chagrin et de rage, d’humiliation et d’injustice, corde qu’il déroule à l’heure où il n’a plus rien à prouver à la faculté. L’applaudir serait trop bruyant, troublerait notre plaisir, alors on le suit, on l’écoute, on le lit. Il est des pensées si bien ourlées avec le temps qu’elles passent l’épreuve de l’oral : ce livre est un entretien avec Laurent Lemire. J’espère qu’il a été travaillé à la relecture, sinon c’est du génie pur.

Ce qui est difficile, ce n’est pas d’être un enfant de la balle et des Lettres, en l’occurrence fils d’artistes, neveu de grands savants, héritier de toute une dynastie d’intelligences supérieures, l’acrobatie consiste à n’en point souffrir, ni gêne, ni orgueil, et alors ça passe comme on passe le plat à son voisin pour qu’il se serve et ainsi de suite. Donc un livre de morale qui ne la fait pas, et tout ça, comme toujours, par le récit.

Michel Pastoureau a écrit des livres sur les couleurs, sur presque chacune d’entre elles, séparément et ensemble. Il a écrit des livres sur les animaux. Sur le Moyen Age. Pas loin de 80 titres si on compte les livres « pour enfants et adolescents », et il faut toujours compter les livres « pour enfants et adolescents ». Si ces livres-là font de lui un conteur, ce n’est pas moi qui m’en plaindrais.

Raconter la civilisation humaine

Pour L’Imaginaire est une réalité, c’est quoi l’histoire, il ne le dit pas, mais c’est bien celle de sa vie qu’il raconte dans ce livre, il me plaît pour ça et pour tout ce qu’il suscite en moi et que je griffonne dans la marge. Palimpseste, c’est comme ça qu’on dit. Il parvient même à me mettre en colère quand il écrit que « Le cyclisme est historiquement le sport fondateur de la presse sportive ». Erreur, c’est le sport hippique. Mais il en va des erreurs comme des mensonges, elles sont très utiles à la connaissance. Si Pastoureau n’a pas écrit de livre sur le cheval, j’imagine que c’est à cause de l’immensité du corpus déjà existant ; ses capacités mnésiques phénoménales auraient trouvé leurs limites.

Raconter le cheval c’est raconter la civilisation humaine, ce qui ne me semble pas obligé avec le corbeau ou le renard. J’attendais que Pastoureau écrive sur le cheval, et voilà qu’il annonce un livre sur l’âne. Je ne vais pas m’en remettre. L’anecdote qui suit peut lui servir, malgré tout. Il s’agit de l’interdiction définitive de l’usage de la cravache dans les courses de trot. On tolérait jusque-là une quinzaine de coups, qui furent réduits à cinq, et maintenant c’est fini. Après négociation, les jockeys ont obtenu le droit de continuer à porter la cravache. On se demande bien pour quoi faire. Mais si ça les rassure… Il faudrait leur faire lire cette étude réalisée par l’Université suédoise de sciences agricoles, en association avec la Swedish Trotting Association, qui montre scientifiquement, chronomètre en main, que donner des coups de cravache à un cheval ne le fait pas avancer plus vite. C’est même le contraire. On a longtemps cru qu’on apprenait à un enfant à résoudre une équation en lui tirant les oreilles. Certains le croient encore. Il faut bien qu’il y ait des cancres pour laisser les premiers de la classe remporter des courses.

L’imaginaire est une réalité, Michel Pastoureau avec Laurent Lemire. Seuil, 2025.



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Author : Christophe Donner

Publish date : 2025-04-15 09:00:00

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