Quand je suis devenue directrice de cabinet du président de la République, en 2007, plusieurs personnes m’ont dit : « Tu vas avoir la haute main sur les décorations. C’est une grande source de pouvoir. » J’étais moins intéressée par le pouvoir que par la transformation du pays, raison pour laquelle j’ai démissionné à mi-mandat quand j’ai définitivement compris qu’il n’y aurait pas de réforme. Mon seul fait de gloire en matière de décorations, mais j’y tiens, a été de faire repréparer toute la promotion du 14 juillet 2007 qui ne comportait pas assez de femmes, puis d’imposer la parité systématique, au moins dans les premiers grades, avec le soutien du président. Au cours de cette période, j’ai toutefois suffisamment suivi le processus d’attribution des décorations pour comprendre qu’il est arbitraire. De nombreux fonctionnaires et militaires sont décorés à la quasi-ancienneté tandis que beaucoup de personnes, qui le mériteraient davantage, restent en dehors des ordres nationaux. Décorer est le privilège du prince, raison pour laquelle il ne faut ni se flatter de l’être, ni se plaindre du contraire.
Dans ce contexte, il est inacceptable que Nicolas Sarkozy ait été exclu de nos ordres nationaux, au petit matin, un dimanche, par application stupide d’un article réglementaire du Code de la Légion d’honneur. Je laisse à ses avocats le soin de développer les arguments juridiques à l’encontre de la légalité de cet arrêté du grand chancelier. Mais considérer que la condamnation dont l’ancien président a fait l’objet dans l’affaire dite Bismuth pèse plus que les mérites et services qu’il a rendus à la France et aux Français est outrageusement choquant en opportunité alors que, précisément, tout le régime des décorations n’est qu’affaire d’appréciation et de subjectivité. Même si je lui ai reproché de ne pas avoir appliqué son programme, c’est un fait que le président Sarkozy a sauvé la France par deux fois : en 2008, au moment de la crise financière, en 2010, au moment de la crise de l’euro (sauvant également l’Union européenne).
Même ses plus féroces adversaires le lui concèdent. Ces actes, et bien d’autres encore, notamment en tant que ministre de l’Intérieur, sans même parler de l’affaire Human Bomb, sont sans commune mesure avec ce qui lui a été reproché dans l’affaire des écoutes, et auraient dû conduire le président actuel à refuser très fermement cette exclusion. Nul doute que, confronté à la même situation, c’est ainsi qu’aurait agi Nicolas Sarkozy.
Les sommets de la lâcheté et de l’hypocrisie
On nous prétend qu’Emmanuel Macron ne pouvait juridiquement s’opposer à la combinaison de deux articles du code qui prévoient qu’en cas de condamnation à un an ou plus de prison ferme, l’exclusion est automatique et prononcée par arrêté du grand chancelier. De qui se moque-t-on ? D’abord, il n’est jamais obligatoire de signer un arrêté, charge au juge le cas échéant d’infirmer cette abstention. En partant à Londres en juin 1940, le général de Gaulle a méconnu des normes autrement plus conséquentes. Il a été condamné à mort pour cela. Emmanuel Macron pouvait ensuite menacer le grand chancelier de le démettre. Si ce dernier a signé, c’est qu’il en a reçu l’ordre ou qu’il n’a pas reçu l’ordre inverse. En outre, pourquoi le code a-t-il été modifié en janvier 2025, c’est-à-dire à un moment où il était parfaitement connu que la question allait se poser pour Nicolas Sarkozy, afin de transférer du président de la République au grand chancelier le soin de prononcer une telle exclusion ? Les sommets de la lâcheté et de l’hypocrisie sont atteints.
Enfin, à supposer même que le texte contraignît effectivement le grand chancelier, il était parfaitement loisible à Emmanuel Macron de le modifier en soumettant une telle décision à un pouvoir d’appréciation personnelle du président, comme pour tout ce qui concerne les décisions relatives aux décorations. En refusant d’effectuer cette juste pondération entre des mérites incontestables et éminents d’un côté, une affaire judiciaire de moindre importance de l’autre, qui pose en outre, elle aussi, de nombreuses questions de droit, Emmanuel Macron tire toute la République vers le bas.
Dans l’entourage du président, certains ont commencé leur carrière auprès de Nicolas Sarkozy ; au gouvernement, certains sont des habitués de la rue de Miromesnil. Si ces gens avaient de l’honneur, ou du courage, ils démissionneraient immédiatement de leurs fonctions. Heureusement que, de nos jours, l’Allemagne ne menace pas notre territoire car on demanderait l’armistice avant même la traversée des Ardennes. N’est pas le général de Gaulle qui veut.
*Emmanuelle Mignon est avocate et ancienne directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy (2007-2008).
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Publish date : 2025-06-17 14:30:00
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