La rhétorique n’est guère belliqueuse. Peut-il en être autrement ? Le 1er juillet, la Cour d’appel d’Alger confirme la condamnation à cinq ans de prison de l’écrivain franco-algérien Boualem Sensal, victime collatérale de la brouille diplomatique entre les deux pays. A cette injustice, les autorités françaises répondent avec la plus grande prudence. Une décision « incompréhensible et injustifiée » est certes dénoncée par le Quai d’Orsay, tandis que le Premier ministre François Bayrou déplore une « situation insupportable ». Mais le champ lexical de la clémence est aussitôt convoqué, de la réclamation d’un « geste humanitaire » ou d’une « mesure de grâce ». Dès le 31 mars, Emmanuel Macron appelait le régime algérien à un acte « d’humanité » envers Boualem Sensal.
Le salut de l’intellectuel réside dans une hypothétique grâce du président algérien Abdelmadjid Tebboune, espéré le samedi 5 juillet, à l’occasion du 63e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Au printemps, une ministre résumait la charge symbolique de l’emprisonnement de l’auteur de 2084, arrêté le 16 novembre 2024 en raison notamment de déclarations au média identitaire Frontières. « Avec l’Algérie, la lutte contre le terrorisme est le sujet le plus stratégique ; l’obtention des laissez-passer consulaires est le plus emblématique ; Sansal, lui, est le plus médiatique. »
« Peu de prise sur les régimes autoritaires »
L’écrivain sera ce samedi sous la lumière des projecteurs, thermomètre bien involontaire de l’état des relations franco-algériennes. Attendre, et espérer. La France n’a d’autre choix que de s’en remettre au verdict d’Abdelmadjid Tebboune, quitte à y répondre avec vigueur s’il était négatif. Bruno Retailleau, partisan d’un bras de fer public avec le régime, se garde de toute provocation verbale à l’approche de la date fatidique. La divergence d’approche est connue. A Beauvau, l’offensive politique contre un pays qui refuse de récupérer tant de ses ressortissants frappés d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), aujourd’hui guère couronnée de succès. Au Quai d’Orsay, le « silence stratégique », jugé plus efficace même s’il n’a pas empêché la condamnation du journaliste Christophe Gleizes à sept ans de prison pour « apologie du terrorisme » et « possession de publications dans un but de propagande nuisant à l’intérêt national ».
Attendre, et espérer. « Par définition, nous avons peu de prise sur les régimes autoritaires, capables d’inculper une personne sans raison. Quelle est notre capacité d’influence sur un régime qui ne fait pas respecter les règles de droit ? Ce n’est pas de l’impuissance, nos régimes sont simplement différents », juge Bruno Fuchs, député Modem du Haut-Rhin et président de la Commission des affaires étrangères.
Le sentiment d’impuissance guette pourtant, tant la France semble se heurter à un mur d’indifférence. La diplomatie, par essence discrète, n’a pas la dimension spectaculaire d’une guerre ouverte. « La voie diplomatique est la seule qui fonctionne, confiait en avril un ministre bien au fait de ces sujets. Mais en tant que citoyen, je reconnais que c’est assez énervant de voir des hommes politiques dire qu’on va essayer de dialoguer face à des gens qui se foutent de notre gueu… »
« Symptôme d’une impuissance relative »
Il est ici affaire de fierté nationale. Jordan Bardella agite ce sentiment pour affaiblir l’exécutif. Le président du Rassemblement national a dénoncé le 30 juin sur Cnews la « docilité » et « l’esprit de soumission » d’Emmanuel Macron envers l’Algérie. Autour de Bruno Retailleau, on épingle un « sentiment d’humiliation » autour du traitement de la question algérienne. Au risque d’une forme de décalage entre l’exercice du pouvoir et ce constat critique. D’après un sondage CSA pour Europe 1, Cnews et le JDD, médias ancrés à droite du groupe Bolloré, 64 % des Français pensent que le gouvernement manque de courage face à Alger.
Poser la question, n’est-ce pas instiller l’idée dans l’atmosphère ? Cette idée est d’autant plus brûlante que l’Algérie, ancienne colonie, entretient une relation profonde et tempétueuse avec la France. Le pays est devenu un objet politique à part entière dans l’hexagone, comme en témoignent les débats sur la dénonciation de l’accord de 1968 régissant le statut des immigrants algériens en France. L’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a ainsi mis en garde un jour Bruno Retailleau sur ses appels à dénoncer le texte. « Dans l’opposition, tu peux parler des accords de 68. Ministre, tu as aussi la population algérienne à gérer », lui a-t-il dit en substance.
Un acteur du dossier inscrit cette crise dans un environnement mondial plus large. Elle serait le « symptôme d’une impuissance relative qui va structurer le débat politique dans les prochaines années ». Ici pour l’Algérie. Là pour les difficultés françaises à réguler l’activité des géants du numérique, groupes privés à l’influence comparable à celle d’Etats souverains. En découlerait une frustration des peuples d’autant plus forte que Donald Trump balaie avec méthode les canons de la diplomatie moderne. Le président américain n’a-t-il pas frappé dès janvier la Colombie de sanctions pour la contraindre au rapatriement de migrants illégaux ? Ne joue-t-il pas avec les droits de douane comme un enfant avec un jouet ? « La proposition trumpienne est irrésistible, constate la source citée plus haut. Elle consiste à dire : je vais rendre le contrôle de son destin au peuple afin qu’il reprenne le pouvoir. » Les aléas diplomatiques n’ont pas cette force symbolique.
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Author : Paul Chaulet
Publish date : 2025-07-04 04:30:00
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