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Alexandre Dumas à la sauce Jean-Christophe Ruffin : un pour tous, tous pour lui

Alexandre Dumas à la sauce Jean-Christophe Ruffin : un pour tous, tous pour lui

Ce fut le succès populaire de l’année dernière, à une époque où l’on va moins au cinéma : Le Comte de Monte-Cristo, avec Pierre Niney dans le rôle-titre, a réuni près de 10 millions de spectateurs dans les salles obscures. En 2023, les deux volets de la nouvelle adaptation des Trois Mousquetaires, D’Artagnan et Milady, avaient rassemblé respectivement 3,3 et 2,6 millions de personnes. Récemment, quand on a fait le portrait de Raphaël Quenard, l’acteur qui monte devenu primo-romancier dans le vent avec Clamser à Tataouine, il nous a parlé de sa passion pour Le Comte de Monte-Cristo, avant d’ajouter : « Pour moi, le plaisir est à son maximum avec Dumas. » Enfin, alors que se profile la prochaine rentrée littéraire, pleine de récits plaintifs et laborieux sur papa/maman, un titre se démarque déjà : Je voulais vivre d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre, ample roman de cape et d’épée tournant autour de la figure de Milady. Le bandeau annonce la couleur : « Milady n’est pas une femme qui pleure… Elle est de celles qui se vengent. »

L’œuvre de l’auteur de La Reine Margot s’adresse à ceux qui préfèrent l’aventure à la victimisation, comme nous le rappelle Jean-Christophe Rufin dans un livre enlevé, Un été avec Alexandre Dumas, qui donne envie de replonger dans la trilogie des Mousquetaires – même si l’académicien, pour sa part, dit préférer les Impressions de voyage. Rien ne prédisposait un petit-fils d’esclave né à Villers-Cotterêts en 1802, orphelin de père dès 1806, à devenir aux yeux de la postérité l’égal de Victor Hugo, son aîné de quelques mois avec lequel il entretiendra tour à tour des relations de rivalité et d’amitié. Rufin oppose régulièrement les deux hommes, Hugo incarnant à ses yeux le grand bourgeois, sensibilisé au sort des gens moins favorisés à partir des Misérables, quand Dumas vient vraiment du peuple et oscillera toute sa vie entre réussite et galère, enrichissement et ruine.

La notoriété lui tombe dessus dès 1829, grâce à sa pièce Henri III et sa cour. Jeune homme à la page, au look extravagant et coloré, Dumas fraie avec les romantiques et participe à la révolution de Juillet. Les lendemains déchantent. Les connaisseurs se mettent à se moquer de ses pièces faciles, il se marie avec une femme qui n’en vaut pas la peine, échoue à se faire élire à l’Académie française. A 40 ans, ce bon vivant ne cède pas au spleen : « Mais moi, j’ai la gaieté persistante, la gaieté qui se fait jour à travers les tracas, les chagrins matériels, et même les dangers secondaires. Un homme gai, nerveux, plein d’entrain en paroles, est parfois lourd et maussade, seul, en face de son papier, la plume à la main. Au contraire, mes plus folles fantaisies sont parfois sorties de mes jours les plus nébuleux. Supposez un orage avec des éclairs roses. »

Le doute s’avère fécond. Avec la collaboration d’Auguste Maquet (auquel il sera plus tard contraint de reverser 25 % de ses droits d’auteur), Dumas se réinvente en auteur de feuilleton, enchaînant en quelques années Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après, Le Vicomte de Bragelonne, Le Comte de Monte-Cristo et une quinzaine de titres moins connus. Volontiers flambeur, il claque tout, achetant un théâtre et se faisant bâtir le mirobolant château de Monte-Cristo, au Port-Marly.

Auteur de séries avant l’heure

Le coup d’Etat de 1851 marque un coup d’arrêt pour la brillante génération de 1830 : alors qu’Hugo s’exile pour des raisons politiques, Dumas doit fuir ses créanciers. A son habitude, il ne cède pas à l’apitoiement et rebondit : il fonde son propre journal (Le Mousquetaire) dans lequel écrit Gérard de Nerval, il voyage en Russie, il se fait construire un bateau dans un chantier naval en Grèce… En 1860 (année « la plus baroque » de la vie de Dumas selon Rufin), ce diable d’homme rejoint les partisans de Garibaldi, rapportant une cargaison de fusils depuis Marseille pour favoriser la prise de Naples. Naples, ville qui lui ressemble tellement plus que Venise, où Dumas va s’installer pendant quatre ans, avant de rentrer pour mourir en France en 1870.

Au tout début de son essai plein d’anecdotes, de panache et d’esprit, Rufin raconte que, quand il était enfant, le Lagarde et Michard ne consacrait pas une seule ligne à Dumas. On était dispensé de l’étudier, on le lisait pour s’amuser. Plus tard, se permettant un anachronisme didactique, et distinguant les séries des films, Rufin écrit que Balzac était un auteur de romans et Dumas de séries. L’été qui s’offre à nous est l’occasion d’éteindre les écrans et de reprendre ses livres.

Un été avec Alexandre Dumas, par Jean-Christophe Rufin. France Inter/Les Equateurs, 184 p., 14,50 €.



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Author : Louis-Henri de La Rochefoucauld

Publish date : 2025-07-05 08:30:00

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