La « grande boucle » est bouclée. Le scénario semblait écrit d’avance tant Tadej Pogačar domine actuellement le cyclisme mondial, mais dans le vélo comme ailleurs rien n’est jamais figé. Personne, pas même les plus grands champions, n’est à l’abri d’une défaillance, d’un « jour sans » ou d’une chute. Pourtant rien n’y a fait. Le Slovène a dominé l’édition 2025 du Tour de France en s’adjugeant un quatrième maillot jaune à seulement 26 ans – sans compter toutes ces fois où, plus tôt dans l’année, on a pu voir le coureur d’UAE Emirates lever les bras sur la ligne d’arrivée. Ebouriffant. Bluffant. Sidérant. Epoustouflant. Et encore, les superlatifs manquent.
Dans sa ville natale de Klanec, 350 âmes, Tadej Pogačar est un héros comme elle n’en a jamais connu. Dans son pays, il est une source d’inspiration pour tous les jeunes au même titre que d’autres champions qui font rayonner la Slovénie, deux millions d’habitants, dans le monde entier. A l’image de la star de la NBA Luka Dončić, du gardien de football Jan Oblak, ou encore la grimpeuse sportive médaillée d’or olympique Janja Garnbret. Sans compter un autre cycliste qui lorgnait un temps la fameuse tunique jaune. Pour le Premier ministre de cet Etat indépendant depuis 1991, Robert Golob, les succès des sportifs slovènes « n’est pas un hasard ». Quelles sont ses recettes ? Entretien.
L’Express : Au terme d’une domination sans partage, le Slovène Tadej Pogačar est sur le point de remporter, ce dimanche 27 juillet, son quatrième Tour de France. Mais il n’est pas le seul sportif de votre pays reconnu mondialement, tant s’en faut. Comment expliquer une telle réussite ?
Robert Golob : La Slovénie est souvent décrite comme une nation sportive, et nous en sommes très fiers. Mais soyons clairs : nous ne sommes pas une nation sportive par hasard. Nous sommes une nation sportive par choix, parce que nous avons fait du sport une responsabilité nationale.
L’Etat soutient le sport par des investissements délibérés et stratégiques. Nous cofinançons les infrastructures, finançons les programmes, et intégrons le sport dans nos politiques de santé publique, d’éducation et de développement régional. Mais cet engagement ne vient pas seulement d’en haut ; il repose sur des valeurs partagées et sur la confiance. Le sport en Slovénie n’est pas seulement une priorité nationale, il fait partie de notre identité. Nos athlètes sont nos meilleurs ambassadeurs. Et je le dis avec fierté.
Le Premier ministre slovène Robert Golob, lors d’un sommet de l’Otan en juin 2025.
Quel est le secret de la Slovénie pour être devenue, depuis une quinzaine d’années, une véritable « fabrique à champions » ?
En Slovénie, cela commence très tôt – dans les jardins d’enfants, les écoles, et surtout, dans les clubs locaux. Les enfants grandissent dans une culture du mouvement, soutenue par un financement public et un fort esprit communautaire. Nous avons plus de 6 000 associations sportives reconnues d’intérêt public, et à la fin de l’école primaire, environ un tiers des enfants sont licenciés dans un sport.
Les clubs locaux sont souvent les lieux où les enfants apprennent non seulement à courir, sauter et jouer, mais aussi à rêver. Nos champions mondiaux – de Tadej Pogačar et Luka Dončić à Janja Garnbret, Anže Kopitar, Jan Oblak et Tina Maze – ont tous commencé dans de modestes clubs de village, portés par de grands rêves.
La Slovénie figure régulièrement parmi les pays les plus performants au monde, en nombre de médailles olympiques par habitant et en diversité des disciplines sportives. Ce n’est pas un hasard, c’est le fruit d’un système de valeurs, d’infrastructures solides et d’un engagement à long terme. Et nous partageons aussi ce savoir-faire à l’international : les Slovènes contribuent activement au sport mondial en tant qu’entraîneurs, officiels et dirigeants.
En France, certains pointent le manque d’investissements de l’Etat dans le sport, notamment dès le plus jeune âge. Certes, nous sommes un grand pays qui compte parmi les meilleurs athlètes dans de nombreuses disciplines, mais n’y a-t-il pas une « méthode slovène » dont nous pourrions nous inspirer ?
Chaque pays a son propre chemin et sa propre philosophie en matière de sport. Ce n’est pas mon rôle d’évaluer le modèle d’un autre pays, surtout un pays comme la France, qui compte des athlètes exceptionnels, un patrimoine sportif riche et qui est une superpuissance mondiale du sport.
En Slovénie, nous considérons le sport non seulement comme une compétition ou un divertissement, mais aussi comme une forme d’éducation, de politique publique, voire de diplomatie. Nous y investissons de manière globale. Le sport fait partie du rythme de la vie quotidienne. Grâce à une vision, une collaboration et des investissements durables, nous avons créé un écosystème dans lequel le sport est intégré au tissu social. C’est peut-être cela la différence principale, et c’est ainsi que nous cherchons symboliquement à construire un monde meilleur.
Comment le sport imprègne-t-il concrètement la vie quotidienne des citoyens en Slovénie ? Avez-vous des exemples ?
En Slovénie, le sport est profondément ancré dans notre mode de vie. Plus de 60 % de la population pratique une activité physique régulière. Des sentiers alpins aux pistes cyclables urbaines, des skateparks aux salles d’escalade, en passant par les centres communautaires et les installations de classe mondiale comme le Centre nordique de Planica, nous investissons dans des infrastructures qui servent à la fois les champions et les citoyens ordinaires.
Mais ce n’est pas seulement une question d’infrastructure. Les Slovènes ont une passion innée pour le mouvement. Nous abordons le sport professionnel et le sport de loisir avec la même ferveur. Nous ne faisons pas que pratiquer le sport – nous le ressentons. Il fait partie de notre caractère national.
Nous cultivons une culture de l’activité en plein air, soutenue par un environnement naturel exceptionnel. La nature est partout autour de nous, et être actif dans ce cadre fait simplement partie de notre quotidien. Nous skions dans des endroits où personne n’a encore skié, escaladons des voies inédites, nageons là où d’autres n’oseraient pas, et parcourons à vélo des distances que beaucoup jugeraient déraisonnables. Nous ne cherchons pas à dominer la nature, nous l’explorons. Et parce que nous faisons ce que nous aimons, nous sommes capables de grandeur. C’est pourquoi, en Slovénie, le sport n’est pas seulement un divertissement. C’est une identité. C’est une joie. C’est une résilience. C’est dans notre ADN.
Si vous aviez un conseil à donner à la France et à ses enfants qui rêvent de devenir comme Pogačar, Oblak ou Dončić, quel serait-il ?
J’ai été moi-même athlète, et je voudrais partager quelque chose de personnel. J’ai fait partie de l’équipe nationale de kayak, bien avant que le kayak ne devienne un sport olympique. Par la suite, je me suis tourné vers la science, la recherche, l’entrepreneuriat, puis la politique.
Mais une leçon m’est restée de toutes ces années passées sur la rivière, en kayak en eaux vives : ne jamais rester immobile. Toujours rester en mouvement. Parce que si tu t’arrêtes dans les eaux vives, le courant t’emporte où il veut. Tu perds le contrôle.
Et cela s’applique à la vie. Au sport. À la direction. Ne restez jamais immobiles, continuez à bouger, à apprendre, à rêver. C’est le meilleur conseil que je puisse donner à un jeune qui souhaite atteindre la grandeur.
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Author : Yohan Blavignat
Publish date : 2025-07-27 06:45:00
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