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Catherine Schilansky, DRH : « Chez Amazon, nous ne recrutons pas pour un poste mais pour un potentiel »

Catherine Schilansky, DRH : « Chez Amazon, nous ne recrutons pas pour un poste mais pour un potentiel »

Parfois, les années semblent avoir défilé aussi vite qu’une livraison express. Arrivé en France il y a 25 ans Amazon emploie aujourd’hui plus de 25 000 salariés en CDI répartis sur plus de 35 sites logistiques. Partenaire de notre colloque Leadership et management qui s’est tenu le 26 mai dernier, le groupe a récemment annoncé un plan d’investissement de plus de 300 millions d’euros, visant à créer plus de 1 500 emplois en CDI en France dans les années à venir. Recruter à grande échelle dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de transformation des attentes des salariés à l’égard du travail : une équation compliquée. La carte maîtresse du géant de l’e-commerce ? La formation. « Lorsque nous recrutons chez Amazon, nous ne recrutons pas pour un poste, mais pour un potentiel et une évolution au sein de l’entreprise. Ainsi, nous formons nos collaborateurs dès leur arrivée », explique Catherine Schilansky, DRH d’Amazon en France. Entretien.

L’Express : Votre entreprise est en constante évolution, dans un environnement lui-même en profonde mutation, notamment avec l’essor de la robotisation et de l’intelligence artificielle. Comment préparez-vous vos collaborateurs à faire face à ces vagues d’innovations ? Quels dispositifs de formation avez-vous mis en place chez Amazon pour les accompagner dans ces transformations ?

Catherine Schilansky : La formation est effectivement au cœur de notre politique RH. Cela se traduit concrètement par l’investissement que nous avons décidé de réaliser – et déjà commencé – à hauteur de 50 millions d’euros pour former nos 25 000 collaborateurs d’ici à 2030. Ce choix répond à l’accélération de la transformation des compétences, que ce soit dans les domaines de la robotique, de la mécatronique ou les évolutions engendrées par l’IA générative. Nous avons donc décidé d’investir massivement, à la fois pour répondre à nos propres besoins, mais aussi à ceux du marché. Le constat actuel est clair : une pénurie de plus de 1,5 million d’emplois qualifiés est attendue d’ici 2030. C’est une réalité, et c’est pour cela que nous avons choisi d’agir dès maintenant, afin d’accompagner nos collaborateurs dans cette transformation.

Vous parliez du défi lié à la pénurie sur certains emplois plus qualifiés. À quoi faites-vous référence exactement ?

Nous estimons que nos centres robotisés nécessiteront 30 % de plus de salariés dans des postes qualifiés liés à la maintenance, la sûreté et l’ingénierie dans les années à venir. Fort heureusement, chez Amazon, les possibilités de mobilité sont nombreuses. On peut ainsi tout à fait imaginer des passerelles entre nos centres logistiques et des parcours de formation permettant à celles et ceux qui le souhaitent d’évoluer vers des métiers de technicien et ingénieur maintenance et sécurité.

Vous avez notamment mis en place l’Ecole Amazon. De quoi s’agit-il ?

Notre philosophie est la suivante : lorsque nous recrutons chez Amazon, nous ne recrutons pas pour un poste, mais pour un potentiel et une évolution au sein de l’entreprise. Ainsi, nous formons nos collaborateurs tout au long de leur parcours. L’École Amazon, mise en place en partenariat avec l’Afpa (Association pour la formation professionnelle des adultes), permet à nos salariés d’obtenir un diplôme reconnu par l’État : un BEP, un bac, voire un bac + 2. Ces formations mènent à des métiers de techniciens de maintenance ou à des postes davantage orientés vers la robotique. À ce jour, plus de 1400 salariés ont déjà obtenu un diplôme certifié par l’Etat et répondant à la fois à nos besoins internes et à ceux du secteur logistique. Certains commencent par un BEP et peuvent aller jusqu’au bac ou BTS. Nous accompagnons donc les collaborateurs qui le souhaitent vers des spécialisations ou des certifications supérieures, en fonction de leur appétence. Nous avons également un programme appelé « Options de carrière », qui finance jusqu’à 95 % des frais de formation, pour permettre à nos collaborateurs de se reconvertir vers des métiers d’avenir. Il s’agit de formations certifiantes externes, choisies par les salariés eux-mêmes.

Enfin, nous sommes fortement engagés dans l’apprentissage, notamment pour les personnes éloignées de l’emploi depuis longtemps, y compris les seniors. Nous avons ouvert un centre d’apprentissage à Boves (Somme), en partenariat avec France Travail et l’Etat. Au total, ce sont déjà plus de 5 000 salariés que nous avons formés, et nous poursuivons cet effort.

Le recrutement est aussi très important dans cet univers si changeant. Quelle est votre philosophie en la matière ?

Nous avons toujours promu l’égalité des chances. Dans nos centres logistiques et centres de distribution, nous recrutons sans condition de diplôme. Comme je le disais, chez Amazon, nous ne recrutons pas pour un poste en particulier, mais pour un potentiel d’évolution au sein de l’entreprise. C’est vraiment le cœur de notre approche. Nous travaillons également en partenariat étroit avec France Travail, ce qui nous permet de toucher un public très large. Dans cette même logique d’inclusion, plus de 6 % de nos collaborateurs en centres logistiques sont en situation de handicap. Sur un total de près de 25 000 collaborateurs, cela est significatif. Cela montre que nous savons adapter les postes à des situations très diverses, et surtout que nous continuons à faire progresser ces personnes au sein de l’entreprise. Nous recrutons aussi de nombreuses personnes éloignées de l’emploi, notamment des chômeurs de longue durée, ainsi que des jeunes. Nous ne sommes pas dans une approche prescriptive : ce que nous recherchons, ce sont des personnes motivées, qui comprennent notre culture, qui ont envie d’apprendre, de progresser, qui sont curieuses. Et c’est justement ce qui justifie tous les dispositifs de formation que nous avons mis en place en interne.

Dans un récent entretien à L’Express, le professeur à HEC Olivier Sibony déplorait une obsession française du diplôme. Est-ce un critère clé de recrutement chez Amazon dans les fonctions support ?

Dans toutes nos fonctions plus corporate, le niveau de diplôme est bien sûr un critère, car il est censé valider l’acquis d’un certain nombre de compétences. Cela dit, ce n’est en aucun cas un critère exclusif. Ce que nous valorisons avant tout, c’est la manière dont le candidat comprend et s’engage avec notre culture, nos principes de leadership. Lors du recrutement, ce que nous cherchons véritablement à évaluer, c’est la capacité d’adhésion à ces principes : la curiosité, l’envie d’apprendre, etc. Nous cherchons à comprendre comment le candidat est capable de traduire son parcours au regard de nos valeurs, même s’il est très jeune. Par exemple, on peut lui demander : « Peux-tu me raconter un moment où tu as défendu ton point de vue avec conviction, même s’il n’a pas été retenu, et où tu as malgré tout mis en œuvre le nécessaire pour contribuer à la réussite du projet ? ». Ce n’est pas un entretien scolaire, où l’on déroule simplement un CV année après année. C’est un échange intelligent, qui pousse à réfléchir différemment à son parcours. Même lorsqu’il s’agit de profils diplômés pour des fonctions corporate, nous ne recrutons pas une personne pour occuper un poste fixe à long terme, mais bien pour son potentiel d’évolution. Chez nous, on dit souvent qu’il y a autant de parcours que de collaborateurs, et c’est vrai. Car nous recrutons avant tout pour l’entreprise, avec l’idée que si une personne partage nos valeurs — comme la volonté de délivrer des résultats, d’innover, etc — alors elle pourra construire son propre parcours et développer sa carrière au sein d’Amazon.

Et en matière de fidélisation ?

Nous offrons à nos salariés toute une série d’avantages et de bénéfices, comme un mois supplémentaire de congé de paternité ou de maternité. Ce congé vient s’ajouter au congé légal, aussi bien pour les pères que pour les mères, ce qui contribue à promouvoir la diversité. C’est un avantage entièrement financé par Amazon, à 100 %, et il vise à soutenir la parentalité de nos employés. Il est important de souligner que 50 % des effectifs dans nos centres logistiques sont des femmes, donc c’est essentiel pour nous de continuer à les accompagner dans leur parcours de parentalité.

Comment accordez-vous les promotions vers des postes de manager ? Sur quels critères vous basez-vous ?

Nous favorisons très fortement la promotion interne car nous misons sur le potentiel d’évolution de nos collaborateurs. En ce qui concerne les promotions, elles sont généralement discutées au sein d’un panel. Les décisions de promotion ne se prennent pas à la légère : elles font l’objet de feedbacks croisés, qui portent non seulement sur la performance, mais aussi sur les qualités humaines et professionnelles de la personne. Chez Amazon, les principes de leadership dont je vous parlais sont réellement présents à toutes les étapes, du recrutement jusqu’au travail quotidien. Nous cherchons à évaluer si la personne incarne nos principes de leadership — comme l’innovation, l’engagement, ou la capacité à faire progresser son environnement, la capacité à mener un projet jusqu’au bout. L’un de ces principes consiste aussi à avoir le courage de contester, de remettre en question une décision si on estime qu’elle n’est pas la bonne. Ce principe est valable quel que soit le niveau hiérarchique : chacun a le droit d’exprimer son point de vue, ses recommandations. Mais une fois que la décision est prise, tout le monde s’engage à la soutenir collectivement.

A l’automne dernier, la décision d’Amazon de demander à ses collaborateurs de revenir au bureau à temps plein a fait beaucoup de bruit. Cela s’est parfois déroulé de manière plus compliquée que prévu, notamment en raison d’un manque d’espaces… Concrètement, comment cela se passe-t-il aujourd’hui sur le terrain ?

Nous restons tout à fait flexibles. Si quelqu’un souhaite télétravailler occasionnellement, ce n’est absolument pas un problème. Le retour en présentiel permet à chacun de se retrouver, de créer du lien, et de mieux s’imprégner de la culture de l’entreprise, notamment pour les collaborateurs les plus jeunes. Nous attachons de l’importance à la transmission des savoirs, aux échanges informels. C’est cet équilibre que nous recherchons, non seulement aux États-Unis, mais aussi dans tous les pays, y compris en France. Et encore une fois, nous restons attentifs aux besoins individuels. Par ailleurs, les managers entretiennent des échanges réguliers avec leurs collaborateurs, ce qui permet d’identifier les situations particulières. Il peut arriver que, pour une période donnée, le rythme de présence sur site soit plus difficile à tenir pour un salarié. Dans ce cas, un dispositif est prévu : le collaborateur peut formuler une demande d’adaptation temporaire, qui peut aller jusqu’à plusieurs mois, en expliquant sa situation. L’idée est qu’il puisse dire, par exemple : « Pendant quelque temps je ne pourrai pas revenir au bureau cinq jours par semaine ». Et cela peut tout à fait s’entendre, dès lors qu’il y a un dialogue ouvert avec le manager, dans un esprit de bienveillance.

En tant que DHR, quel regard portez-vous sur le « RH bashing », qui demeure une valeur sûre près de la machine à café ?

La fonction RH est souvent un messager. Ce qui est important quand on travaille en ressources humaines, c’est de savoir bien transmettre les messages, même si l’on n’en est pas toujours à l’origine. Il faut savoir comprendre l’environnement dans lequel on évolue. Historiquement, la fonction RH a longtemps été très administrative et transactionnelle, mais elle a beaucoup évolué. Aujourd’hui, elle est davantage tournée vers l’accompagnement du business, la mise en place de politiques de gestion des talents, et l’adaptation aux nouveaux rythmes des transformations, qui sont de plus en plus rapides. Pour moi, le rôle des RH est d’accompagner le changement, tant en matière de compétences que de mentalités. Cela signifie aider le business à anticiper, à s’adapter, à transformer ses pratiques. Ce n’est pas un métier toujours facile, mais c’est un métier passionnant. Il faut, à mon sens, aimer l’humain, même si l’on travaille avec des outils de plus en plus processés. Ce qui m’anime, c’est justement cet accompagnement de l’humain dans des cycles de transformations technologiques et écologiques. Personnellement, j’essaie d’être une DRH accessible et de toujours faire entendre ma voix dans les échanges.



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Author : Laurent Berbon

Publish date : 2025-07-28 16:00:00

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