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Droits de douane : « La Suisse n’a pratiquement aucune marge de négociation »

Droits de douane : « La Suisse n’a pratiquement aucune marge de négociation »

Après la douche froide, le coup de massue. La Suisse pensait que le scénario du pire avait eu lieu, en avril, avec les annonces droits de douane américains à 31 %. Elle s’était trompée. Washington a enfoncé le clou en décrétant un taux de 39 %, entré en vigueur cette semaine et faisant du pays un des plus taxés au monde.

Face à cette escalade, la présidente de la confédération helvétique, Karin Keller-Sutter, s’est précipitée à Washington. Mais le locataire de la Maison-Blanche est resté inflexible, déplorant qu’elle « n’écoutait pas » ses préoccupations sur le commerce. Malgré ce dialogue de sourds, John Plassard, responsable de la stratégie d’investissement à la banque suisse Cité Gestion, n’exclut pas qu’un accord puisse être trouvé. D’ici-là, les secteurs tournés vers l’export seront frappés de plein fouet mais en mesure d’absorber le choc, explique-t-il à L’Express.

L’Express : Comment expliquer que la Suisse écope d’un taux douanier aussi élevé ?

John Plassard : La Suisse a attiré l’attention de Donald Trump par son déséquilibre commercial avec les États-Unis. Mais ce qui échappe probablement au président américain, c’est que cet excédent est gonflé par les exportations d’or et de pierres précieuses. Ces flux représentent 15 milliards de dollars, soit un quart des exportations suisses vers les États-Unis. Or le gouvernement ne touche presque rien de ces flux puisqu’il s’agit d’or de transit, qui ne crée pas de valeur ajoutée localement.

À cela s’ajoute la pharma, autre pilier de nos exportations. Le président Trump déplore une hausse des prix finaux aux États-Unis – et il n’a pas tort. Mais ce ne sont pas les laboratoires suisses qui en profitent. Ce sont surtout les distributeurs américains, qui prennent des marges très importantes.

La Suisse taxe très peu les produits américains importés. Que voulait Trump pour renoncer à ces 39 % ? Et pourquoi la Suisse n’a-t-elle pas satisfait ses attentes ?

Comme d’habitude, il voulait obtenir des promesses d’investissements concrets aux États-Unis. Mais le gouvernement suisse s’est trompé de registre. Il a mené les négociations sur le même modèle qu’avec les administrations précédentes. La présidente a misé sur la relation diplomatique privilégiée entre les deux pays, avec le rôle d’intermédiaire discret que la Suisse a longtemps joué, que ce soit dans le dossier iranien ou russe. Donald Trump, lui, ne regarde que les chiffres – et ceux qu’il veut voir.

L’économie suisse a une grande composante industrielle, elle est donc exposée aux surtaxes. Quel pourrait être l’impact macroéconomique de ces droits de douane ?

Si ces droits de 39 % devaient rester en place jusqu’à la fin de l’année, les conséquences seraient significatives. Les produits chimiques – dont les États-Unis sont le premier marché –, mais aussi les machines-outils, l’horlogerie ou encore l’outillage, seraient directement touchés. Cela pourrait coûter environ 0,5 point de croissance à l’économie suisse. Quand vous partez d’un objectif de 1 %, c’est considérable. Le taux de chômage, aujourd’hui à 2,7 %, pourrait remonter au-dessus de 3 %. Ce serait un choc suffisamment important pour rouvrir la question d’un retour à des taux d’intérêt négatifs, comme ceux que nous avions encore en 2022 – surtout si le franc suisse continue de s’apprécier.

Cela dit, l’économie suisse reste fondamentalement résiliente. Je parle souvent du « roseau suisse » : il plie, mais ne rompt pas. On l’a vu pendant le Covid : les entreprises suisses ont une capacité d’adaptation exceptionnelle, notamment grâce à un marché du travail très flexible et des dispositifs de chômage partiel très efficaces.

Certains reprochent à l’Union européenne de ne pas avoir mis en avant son déficit sur les services lors des négociations avec Donald Trump. La Suisse peut-elle jouer sur ce levier ?

Non. Il faut bien comprendre que la Suisse n’a pratiquement aucune marge de manœuvre. Les États-Unis sont notre premier partenaire commercial en dehors de l’Union européenne, représentant 17 % de nos exportations. Nous sommes en position de dépendance. Le président américain ne considère pas la Suisse comme un partenaire commercial stratégique. Ce n’est d’ailleurs pas lui, mais le sénateur Marco Rubio, qui a reçu la présidente suisse. Cela en dit long.

Et sur la pharma ? Peut-il vraiment se permettre d’aller jusqu’à 200 % de droits de douane ?

Pour l’instant, il n’y a pas de visibilité. On ne sait pas encore à quelle sauce vont être mangés Roche, Novartis et les autres. Ce que l’on sait, c’est que Novartis a promis 23 milliards de dollars d’investissements aux États-Unis. Roche y est déjà très bien implanté et pourrait faire davantage. Mais au fond, la réalité est simple : c’est toujours Trump qui tient le couteau par le manche. C’est un rapport de force asymétrique : vous ne pouvez pas lui dire « si vous prenez telle mesure, nous allons réagir ainsi ». Il refuse d’entendre cela.

La Bourse semble réagir de manière moins nerveuse à ces bouleversements qu’au printemps. Pourquoi ?

L’optimisme actuel est surtout porté par les résultats des entreprises et par la rencontre prochaine entre Donald Trump et Vladimir Poutine, peut-être même avec Volodymyr Zelensky. Mais surtout, les investisseurs ont compris que la situation n’est pas aussi dramatique qu’elle en a l’air. Beaucoup d’entreprises avaient pris les devants en constituant des stocks aux États-Unis, avant l’entrée en vigueur des taxes. Et dans les secteurs haut de gamme – le chocolat, la bijouterie, les montres –, les entreprises ont encore la capacité d’absorber une partie du choc dans leurs marges.



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Author : Tatiana Serova

Publish date : 2025-08-09 06:15:00

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