L’Europe est plongée dans le coma et pourtant, le chemin de sa guérison est tracé : il y a un an, Mario Draghi dressait une série de recommandations pour redonner à l’Union une voix qui compte dans le monde. Or, les mêmes qui gémissent aujourd’hui sur les avanies que Vladimir Poutine, Xi Jinping et Donald Trump infligent à l’Europe n’ont rien fait ces douze derniers mois pour mettre en œuvre les prescriptions de l’ancien président de la Banque centrale européenne.
Parmi les 383 suggestions du rapport publié en septembre 2024 par l’ex-chef du gouvernement italien, à peine plus d’une sur dix (11,2 %) a commencé à être appliquée, selon une étude du cercle d’études bruxellois European Policy Innovation Council. Pire, si l’on ne retient que les recommandations les plus importantes, toutes ont été laissées sur le carreau !
Les points négligés sont les plus délicats aux yeux des dirigeants européens : la réforme de l’Union, pour la rendre plus centralisée, plus efficace et plus rapide ; le financement par le biais d’un grand emprunt européen d’investissements colossaux destinés à muscler la défense, réindustrialiser l’Europe et lui permettre de revenir dans la course technologique ; la création d’un véritable marché intérieur pour les services ; l’unification des marchés de capitaux, pour relancer la croissance économique.
Draghi avait prédit que l’Europe s’exposerait à une « lente agonie » si elle refusait le changement radical qu’il prônait. Nous y sommes. Le déclassement stratégique est même plus rapide que prévu : l’accord commercial léonin que Donald Trump a imposé à Ursula von der Leyen au cœur de l’été en témoigne.
Un retard abyssal en matière de productivité
L’Italien expliquait le grand décrochage de l’Europe par son retard abyssal en matière de productivité et d’innovation. Son remède phare, un choc d’investissement de 800 milliards d’euros par an de 2025 à 2030, a été ignoré. La Commission a choisi de se focaliser sur la simplification administrative, qui n’est qu’un des aspects du problème et qui n’offre pas de solution au déficit d’investissement.
Pourtant, l’urgence est là car le recul s’accélère. Au second trimestre 2025, pour ne prendre qu’un exemple, la croissance économique a été huit fois plus rapide aux Etats-Unis que dans l’Union européenne. Si les dirigeants européens restent aussi passifs, c’est probablement parce que la tâche leur paraît titanesque. Mais c’est aussi parce qu’ils ne sont guère incités à choisir la voie de la rupture, au moment où l’heure est au repli sur soi national et à la désunion. Il suffit de regarder les trois principales économies de la zone euro : l’Allemagne est de plus en plus tentée de compter sur ses propres forces, la France est plongée dans une crise politico-financière dont elle n’arrive pas à s’extraire, et l’Italie se satisfait de la manne provisoire du plan de relance européen post-Covid. Dans ces conditions, la voie du sursaut collectif semble hors d’atteinte.
Tout est lié : si l’Europe a été aussi aisément humiliée par Trump et ses droits de douane prohibitifs, c’est parce qu’elle a besoin de Washington pour contrer les appétits de l’ogre russe. Et si elle est incapable de se défendre elle-même, c’est aussi parce qu’une véritable Europe de la défense ne peut pas voir le jour sans un saut fédéral, sur le modèle de ce que firent les États membres il y a 25 ans avec la création de l’euro. L’UE a 1,4 million de militaires (à peu près autant que la Russie, un peu moins que les Etats-Unis ou la Chine), mais puisqu’ils sont répartis entre 27 armées, sans commandement unifié, sans stratégie harmonisée, sans matériel commun, ils ne font peur à personne.
Son monde est révolu
L’UE était comme un poisson dans l’eau à l’heure de la mondialisation heureuse, car le projet européen était conçu comme un projet d’abolition des frontières et d’harmonisation internationale. Son monde est révolu. Prise à rebrousse-poil à l’heure de la démondialisation, elle a toutes les peines du monde à s’adapter à la nouvelle donne stratégique.
Elle possède pourtant les ressources nécessaires pour revenir dans le jeu. Elle a la matière grise, les infrastructures, la richesse, la puissance de son marché intérieur de 450 millions d’habitants. Mais ce n’est qu’en mettant en commun leurs ressources et leurs capacités que les États membres pourront atteindre l’échelle nécessaire pour les technologies du futur, comme Mario Draghi l’a souligné dans un discours prononcé en août à Coimbra. Pour préserver son modèle social et ses valeurs, l’Europe – ou au moins ses Etats membres qui en auraient la volonté – doit rompre avec le statu quo. L’alternative, ce serait la vassalisation.
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Author : Luc de Barochez
Publish date : 2025-09-11 03:45:00
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