L’Express

Giorgia Meloni et l’Europe : les dessous d’une influence grandissante

Giorgia Meloni et l’Europe : les dessous d’une influence grandissante

Il est aisé d’être prise pour Blanche-Neige quand on est entouré de 26 nains. Si Giorgia Meloni est la nouvelle star politique de l’Union européenne, la présidente du Conseil italien le doit à son talent personnel, à son positionnement politique pragmatique, mais aussi au fait que ses pairs sont loin de briller. Dans les autres grands Etats membres – Allemagne, France, Espagne, Pologne -, les dirigeants sont tous plus ou moins profondément embourbés. Pas elle, qui s’apprête à fêter, le 25 septembre, le troisième anniversaire de la victoire électorale à laquelle elle a conduit la coalition des droites italiennes.

« Nous ne sommes plus l’homme malade de l’Europe », s’est-elle réjouie le 27 août à Rimini, devant le rassemblement annuel du puissant mouvement catholique Comunione e Liberazione. Elle peut plastronner : Rome emprunte désormais au même taux que Paris sur les marchés. Le renversement est total. Il y a quelques années encore, l’Italie donnait des sueurs froides à toute la zone euro avec son endettement public monumental et son instabilité politique chronique. Aujourd’hui, c’est la France qui joue ce rôle mortifiant.

Stabilité et crédibilité

Rares étaient ceux qui prédisaient à Meloni qu’elle incarnerait un jour la stabilité et la crédibilité internationale retrouvées de son pays. Il est vrai que cette mère célibataire de 48 ans, issue d’un milieu pauvre, sans bagage universitaire, à l’expérience gouvernementale minimale, détonne parmi les chefs d’Etat et de gouvernement européens, d’autant plus qu’elle dirige un parti politique qui plonge ses racines dans le fascisme. En 2022, lorsqu’elle fit son entrée dans le somptueux Palazzo Chigi, la résidence des chefs de gouvernement, au centième anniversaire presque jour pour jour de la marche de Mussolini sur Rome, la majorité des médias européens la dépeignait sous les traits d’une extrémiste qui allait installer à Rome un régime illibéral, rompre les ponts avec l’Europe et s’aplatir devant Vladimir Poutine.

La première femme à diriger la République italienne n’a rien fait de tel. D’ailleurs, elle n’a pas fait grand-chose depuis trois ans. Un mot résume sa tactique : la circonspection. « Son principal succès diplomatique est d’avoir projeté l’image d’une dirigeante relativement modérée, alors qu’elle vient de l’extrême droite, observe Nathalie Tocci, directrice du cercle d’études Istituto Affari Internazionali, à Rome. Mais elle n’a rien réalisé de concret en termes de percée diplomatique ou de contribution réelle, que ce soit pour l’intégration européenne ou pour les relations transatlantiques. »

« Sur l’Europe, elle est réaliste »

Le coup de maître de l’Italie, qui a réussi à s’arroger la part du lion du grand emprunt européen post-Covid, n’est pas à mettre au crédit de Meloni mais à celui de Mario Draghi, son prédécesseur au Palazzo Chigi. Elle n’a eu qu’à se baisser pour récolter la manne tombée du ciel bruxellois : 194 milliards d’euros sur la période 2021-2026 pour financer, entre autres, des ponts et des lignes de chemin de fer à grande vitesse, des écoles et des projets environnementaux à foison. Elle a suivi à la lettre le vieux dicton italien : « Ne trahis pas celui qui t’aide » et maintenu son pays, grosso modo, là où Draghi l’avait laissé : dans le camp européiste, sans enthousiasme mais sans hostilité non plus. Son premier déplacement, après son élection, l’a conduit à Bruxelles, où elle a su établir une bonne relation de travail avec Ursula von der Leyen.

« Sur l’Europe, elle est réaliste », souligne Nicola Procaccini, qui la connaît depuis leur adolescence commune dans la section romaine des jeunesses post-fascistes et qui est aujourd’hui député européen de son parti Fratelli d’Italia. « Elle comprend bien le bénéfice que l’Italie tire d’un engagement constructif en Europe. Si elle est au centre du jeu, c’est parce qu’elle incarne le barycentre politique, qui s’est déplacé vers le centre droit ces dernières années. »

Meloni cultive ses relations avec Trump

En politique étrangère, Meloni mène une diplomatie conservatrice, atlantiste et attachée aux valeurs démocratiques. Sa principale décision en la matière est d’avoir discrètement sorti la Péninsule, en 2023, du programme des « routes de la soie » de Xi Jinping. « Il est de l’intérêt de l’Italie et de l’Occident d’empêcher d’advenir un monde où prévaudrait la loi du plus fort, a-t-elle dit dans un discours devant l’Atlantic Council il y a un an à New York. Les régimes autoritaires aiment jouer avec l’idée d’un déclin inévitable de l’Occident (…). Laissez-moi leur répondre que nous préserverons nos valeurs. »

Fidèle à la tradition italienne, Meloni ne regarde pas seulement vers Bruxelles, mais aussi vers Washington. Son combat contre l’immigration clandestine, son attachement aux valeurs familiales chrétiennes et son opposition à la gestation pour autrui plaisent à l’équipe de Donald Trump. Elle a été la seule dirigeante européenne conviée à l’investiture du président américain, le 20 janvier. Mais contrairement à d’autres, elle a su éviter toute flagornerie dans ses rapports avec Trump. Le vice-président, J.D. Vance, l’a reconnu à mi-mot, le 20 mai sur la chaîne NBC : « Elle parvient à délivrer un message extraordinairement direct sans paraître offensante. Il faut du talent pour ça. »

Même si elle s’est abstenue d’adhérer à la ligne pro-russe de Viktor Orban, elle veille à ménager le Premier ministre hongrois, son seul vrai rival à la tête du mouvement nationaliste en Europe. Sur l’Ukraine, elle affiche un appui de principe à Volodymyr Zelensky, mais elle limite l’aide militaire au minimum et refuse toute idée d’envoyer des soldats italiens sur le terrain pour garantir un hypothétique cessez-le-feu. Elle a souscrit à la décision de l’Otan de porter les dépenses de défense à 3,5 % du produit intérieur brut mais pour l’instant, elle s’est surtout contentée de manipulations comptables pour mettre le label « défense » sur des financements qui relevaient d’autres budgets. Et ses députés à Bruxelles ont voté systématiquement contre toute préférence européenne dans les achats d’armements.

La personnalité la plus puissante d’Europe

Le site d’information bruxellois spécialisé Politico la classe dans son dernier palmarès comme la personnalité la plus puissante d’Europe. Son ascension au firmament continental l’a conduite à des frictions avec Emmanuel Macron, qui revendique cette place depuis 2017. Elle ne cache pas à quel point le président français l’exaspère. « Qui es-tu pour représenter les institutions européennes ? », lui a-t-elle lancé en février dernier en réunion à Bruxelles, alors que Macron revenait de Washington où il avait tenté de défendre les intérêts de l’Union face à Trump. Meloni, pour sa part, a plaidé pour l’accommodement plutôt que la riposte face à l’agressivité commerciale du président américain. Sa ligne s’est imposée. Parallèlement, elle a tiré parti de l’éclipse française au Maghreb pour faire avancer les intérêts économiques italiens en Algérie et en Tunisie.

Sa ligne conservatrice à l’intérieur et tout en nuances et en compromis à l’extérieur semble plaire aux Italiens : après trois ans de pouvoir, les sondages placent son parti aux alentours de 30 % des intentions de vote, quatre points de mieux qu’aux élections de 2022. A ce rythme, elle pourrait bien, fait rarissime dans l’histoire contemporaine de la Péninsule, rester au pouvoir pendant toute la législature. Tentera-t-elle de se faire réélire lors du prochain rendez-vous électoral, prévu au plus tard en 2027 ? On l’ignore encore mais si son parcours prouve une chose, c’est qu’il ne faut surtout pas la sous-estimer.



Source link : https://www.lexpress.fr/monde/giorgia-meloni-et-leurope-les-dessous-dune-influence-grandissante-SZLEA5LQBNAFXNVWTFZBWYRQD4/

Author : Luc de Barochez

Publish date : 2025-09-16 15:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express
Quitter la version mobile