L’Express

« Le management n’est pas rationnel » : comment le mythe de l’équité démotive les meilleurs

« Le management n’est pas rationnel » : comment le mythe de l’équité démotive les meilleurs

Jusqu’ici tout allait bien : une entreprise où il fait bon vivre, des relations d’équipe cordiales, un supérieur apprécié, des avantages et de bonnes ventes. Jusqu’au jour où le N + 1 s’en va. « A la place du manager expérimenté, compétent et bienveillant, une dame a été promue. La petite quarantaine, elle a toujours été vue comme une employée plutôt médiocre », raconte sur Reddit un salarié décrivant cette nomination surprise. Moins de deux ans d’ancienneté, aucune expérience en management et un obscur master « du type que l’on achète à 20k euros auprès de certaines écoles de commerce », loin des PhD ou des salariés « qui sortent de grandes écoles de commerce très renommées », que la promue encadre désormais. La suite se devine : incompétente, elle prend de mauvaises décisions tout en s’octroyant de larges plages de temps libre. L’ambiance est fusillée. Le chiffre d’affaires en chute libre.

« Alerté par moi ainsi que d’autres membres de l’équipe, le directeur dès le départ décide de se ranger du côté [de la N + 1]. Il trouvait des excuses à absolument tous [ses] comportements », déplore celui qui finit par partir de l’entreprise. Victoire du favoritisme ? « Il s’agit d’un ressenti qui ne correspond pas forcément à une réalité, mais on a l’impression d’être traité différemment d’un autre », nuance Xavier Philippe, docteur en sociologie et professeur associé à l’EM Normandie.

Syndrome du scarabée ou cercles affinitaires ?

Et si ce favoritisme relevait du « syndrome du scarabée » ? Le zoologiste Thomas Park a étudié ces coléoptères en 1948 et montré que ceux d’un même groupe favorisaient toujours jusqu’à la disparition des autres. George Akerlof (prix Nobel d’économie 2001) et Pascal Michaillat (professeur d’économie) ont transposé cette théorie aux organisations humaines et à l’entreprise dans leur étude Beetles : Biased Promotions and Persistence of False Belief (National Bureau of Economic Research, 2017).

Mais pour Xavier Philippe, le problème se situe ailleurs. « On a tendance à ramener le management à soi. Or, on souhaite un management rationnel qui impliquerait qu’il existe des critères comme l’équité. Mais l’équité ne tient pas à l’épreuve des faits : on a l’impression que le manager est fort, hors-sol et n’a pas d’affect, qu’il doit mettre en place des procédures ». Une sorte de machine managériale fantasmée. Car, rappelle l’expert, « il existe des cercles affinitaires ». Les managers sont comme les autres : plus proches de certains, plus éloignés d’autres. Pourtant, cette impression peut avoir des effets dévastateurs pour celui qui l’interprète avec ses biais. « Le vrai problème n’est pas tant l’existence d’affinités, mais le risque qu’elles provoquent un traitement différencié et, finalement, que l’on ressente de l’injustice », poursuit le sociologue.

Justice et motivation

« Or, la justice est perçue comme l’un des critères les plus importants de la motivation. L’injustice produit de la contre-performance. Le ressenti est la manière dont les personnes évaluent cette justice et toujours par rapport aux autres. Si les salariés ont l’impression de travailler beaucoup et qu’à côté d’eux un autre membre de l’équipe est favorisé ou que ses contributions sont moindres, cela entraîne une démotivation », décrit le professeur. Et d’ajouter : « Celui qui se sent défavorisé subit un décalage entre l’idée de son travail et la manière dont ses tâches sont appréciées. Il ressent de façon négative un manager qui peut avoir des comportements guidés par ses affects ».

On parle beaucoup aujourd’hui de soft skills, ces compétences mêlant savoir-faire et savoir-être. Un progrès ? « On rationalise les comportements humains en oubliant qu’il existe des affects, des comportements affinitaires mais qui n’entraînent pas forcément du favoritisme. Cependant, la perception du salarié peut être différente et correspondre à une réalité subjective qui est interprétée comme injuste », analyse l’expert. D’où une démotivation qui peut avoir des répercussions économiques.

Que faire ? « La solution n’est pas le team building pour resserrer les liens : cette approche est celle de personnes qui ont un produit à vendre et se servent de l’alibi des dissensions dans l’équipe », alerte Xavier Philippe. On oublie le lancer de haches ou autres gadgets. En revanche, « il faut que le manager soit attentif à la perception qu’ont les salariés de ses actions et qu’en cas de problème, il mette sur la table sa réalité et le ressenti en face », conclut Xavier Philippe. Et cela, sans faire de différence entre les « scarabées » du sérail et les autres.



Source link : https://www.lexpress.fr/economie/emploi/management/le-management-nest-pas-rationnel-comment-le-mythe-de-lequite-demotive-les-meilleurs-JQJZIBCMLFCYTEV4X7ATFQFLFI/

Author : Claire Padych

Publish date : 2025-09-16 10:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express
Quitter la version mobile