« Cinq ans, c’est tout ce qui nous reste », chantait David Bowie au début des années 1970, grimé en Ziggy Stardust. Aujourd’hui, Henry Gee se montre un peu plus optimiste que son compatriote britannique, et annonce qu’il reste à l’espèce humaine environ 10 000 ans. Ancien rockeur adepte de bandanas, l’homme est pourtant un scientifique des plus sérieux. Paléontologue, biologiste évolutionniste et rédacteur en chef de la prestigieuse revue Nature, il assure dans le passionnant Grandeur et décadence de l’empire humain (JC Lattès) qu’Homo sapiens, victime de son succès, est condamné à l’extinction, comme toutes les autres espèces. Pour Henry Gee, seule la colonisation spatiale pourrait permettre aux humains d’échapper à leur destin et d’envisager un avenir à long terme. En primeur en France, il s’explique en détail sur sa thèse provocante.
L’Express : Selon vous, nous sommes beaucoup plus proches de la fin de l’histoire humaine que du début. Vous allez même jusqu’à affirmer qu’Homo sapiens devrait disparaître de la planète dans moins de 10 000 ans. Qu’est-ce qui vous fait penser cela ?
Henry Gee : 10 000 ans, c’est une estimation très généreuse. Il y a une différence entre l’extinction d’une espèce, c’est-à-dire quand l’ultime spécimen meurt, et l’extinction fonctionnelle, qui signifie que les membres d’une espèce donnée sont si peu nombreux et tellement dispersés que l’extinction est inévitable. Pour les humains, cette extinction fonctionnelle pourrait ainsi se produire bien plus tôt.
Depuis l’essor de l’agriculture il y a 12 000 ans, notre espèce a connu une accélération démographique spectaculaire. Selon les projections, l’humanité pourrait culminer à 10 milliards de personnes en 2080. Mais les démographes s’accordent désormais sur le fait que la population mondiale va décliner avant la fin du siècle, peut-être très fortement. Les chercheurs hésitent à faire des projections au-delà du XXIe siècle, mais selon certaines estimations, nous pourrions être aussi nombreux en 2100 qu’aujourd’hui, c’est-à-dire 8 milliards. Une hypothèse envisage même qu’en 2300, il y aura autant d’habitants sur Terre qu’à l’époque de Napoléon Bonaparte, soit environ un milliard. En tout cas, aucun démographe sérieux ne pense que la population humaine puisse remonter.
Que nous apprend l’extinction des autres homininés, c’est-à-dire toutes espèces qui se sont détachées des chimpanzés et bonobos depuis 7 millions d’années environ ?
Les homininés ont toujours été rares. J’ai participé à une expédition paléontologique en Afrique de l’Est, et il y a des fossiles de tout, partout : poissons, alligators, tortues… Ils sont tellement nombreux qu’on ne prend même pas la peine de les collecter. Les fossiles de mammifères sont plus rares, mais j’ai trouvé un petit crâne de porc fossile ou des antilopes. Parfois, on tombe sur des fossiles de singes. Mais pendant tout mon été en Afrique de l’Est, nous n’avons trouvé qu’une poignée de restes d’homininés, principalement des dents. Et cela en cherchant très attentivement. Quand on tombe sur des morceaux qui s’emboîtent, ou un crâne entier, ce sont des découvertes historiques. Je me souviens encore de l’effervescence quand Michel Brunet a découvert en 2001 Sahelantrhopus tchadensis, le plus ancien homininé connu. J’ai tenu le crâne dans ma main, le seul dont nous disposons pour une période de plusieurs millions d’années. Si ces fossiles sont si précieux, c’est que les homininés ont toujours été des espèces rares, et que nous humains avons donc toujours été menacés d’extinction. Entre – 930 000 et – 813 000, le nombre d’individus en mesure de se reproduire s’élevait à seulement un petit millier !
L’autre conséquence de ces petites tailles de population, c’est qu’il y a eu beaucoup de consanguinité dans l’histoire humaine…
Vous soulignez qu’il y a davantage de variations génétiques au sein d’un groupe de chimpanzés d’Afrique que dans toute la population humaine. D’où le fait que ces singes soient sujets a bien moins de maladies que nous, en dépit de leur hygiène douteuse…
Homo sapiens s’est développé à partir de petits noyaux dont les membres fondateurs étaient précédemment parvenus à échapper à l’extinction, ce qui limite le brassage génétique. Nous pensons tous être très différents, alors que nous sommes très similaires, ce qui nous rend fragiles. Le phénomène est particulièrement criant chez les groupes sociaux qui fonctionnent en vase clos. Il suffit de regarder le taux d’incidence de la porphyrie chez les Afrikaners ou des troubles bipolaires chez les Amish.
Aujourd’hui, nous vivons dans des villes où nous sommes très proches les uns des autres, ce qui favorise la propagation des maladies. Si la plupart des animaux sauvages ont des problèmes de parasites et de vers, ils ne souffrent pas des maladies comme les humains, c’est-à-dire les maladies infectieuses causées par notre proximité avec d’autres espèces. La grippe vient des oiseaux, les coronavirus des chauves-souris, la tuberculose des chats ou vaches. Le choléra s’est répandu par le biais d’un mauvais assainissement, le paludisme par les moustiques. Comme nous sommes génétiquement très similaires, nous ne sommes pas particulièrement résistants à ces maladies. D’où l’explosion régulière de pandémies qui se propagent dans la population humaine, à l’image de Yersinia pestis qui a tué un nombre considérable de personnes aux VIII et XIVe siècles. Le Covid-19 a tué une personne sur mille dans le monde, ce qui représente quand même beaucoup de gens. Il aurait pu faire beaucoup plus de victimes sans l’effort héroïque des scientifiques et des gouvernements pour créer des vaccins et imposer des couvre-feux. Du fait des moyens de transport modernes, ces maladies se propagent plus vite. Mais cette interconnexion nous rend aussi plus vulnérables à des chocs économiques. On l’a vu lors du Covid-19, mais aussi avec la crise des denrées alimentaires provoquée par la guerre entre la Russie et l’Ukraine.
Homo sapiens s’est répandu, tandis que les Néandertaliens se sont laissés déborder
Comment expliquer qu’Homo sapiens ait pris le dessus sur Néandertal, disparu il y a 40 000 ans, alors même que ce dernier était solidement installé en Eurasie ?
Rappelons que ces transformations ont pris des milliers d’années. Pendant longtemps, Homo sapiens n’a pas réussi à entrer en Europe, la faute à Néandertal qui tenait ce continent d’une main de fer. Quand il y est parvenu, il a encore fallu plusieurs milliers d’années pour supplanter Néandertal. La chance est un facteur important lorsque les populations sont très petites. Il suffit d’un tout petit avantage pour que cela porte ses effets sur une longue période. Les Néandertaliens étaient aussi intelligents que les humains modernes. Ils avaient l’art, la culture et probablement un langage. Ils enterraient leurs morts. Mais ils n’avaient pas autant d’enfants que nous. Cette différence infime a fini par faire pencher la balance au fil des générations. Homo sapiens s’est répandu, tandis que les Néandertaliens se sont laissés déborder, étant trop peu nombreux, trop éparpillés et trop isolés. Ils n’ont eu que deux choix : s’éteindre ou se croiser avec les humains. Les deux se sont produits. Il y a 40 000 ans, au plus tard, Homo sapiens était le dernier homininé sur Terre. Mais nous savons aussi que toutes les populations actuelles, à l’exception de celles originaires d’Afrique, portent 2 % de l’ADN néandertalien.
L’apogée humain se situe selon vous à ce moment-là, quand Homo sapiens a éliminé tous ses rivaux et colonisé tous les continents. Pourquoi ?
Des paléontologues d’Helsinki ont, dans une étude brillante publiée dans Nature en 2017, expliqué que si les espèces apparaissent pour des raisons diverses, le statut dominant qu’elles parviennent à acquérir tient au fait qu’elles doivent se frotter à d’autres créatures. Une fois le sommet atteint et la concurrence évincée, les espèces se lancent dans un combat de longue haleine, et inévitablement voué à l’échec, contre une adversaire impitoyable qui ne courbera jamais l’échine : la Terre. La biologie évolutive montre ainsi que faute de compétition, la seule issue possible est le déclin. L’extinction des espèces est dans l’ordre des choses. Mais pour les comprendre quand et pourquoi celle-ci a lieu, il faut les étudier à leur apogée.
Cet article dans Nature m’a fait penser à la monumentale Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain d’Edward Gibbon. Dans mon livre, j’établis ainsi un parallèle entre l’Empire romain et l’empire humain. Gibbon commence lui aussi sa grande épopée à l’époque où l’Empire romain est à son apogée, sous le règne de Trajan, au début du IIe siècle. Les Romains avaient alors conscience d’avoir atteint leurs limites. L’empereur Auguste avait compris que les frontières naturelles de l’Empire romain étaient le Rhin, le Danube et le désert du Sahara. Il y a eu des conquêtes occasionnelles en Mésopotamie, en Germanie ou en Roumanie, mais celles-ci n’ont pas pu être conservées. Et l’Empire persan était trop puissant et trop éloigné de Rome. A partir de là, l’Empire romain ne pouvait donc que décliner. Après s’être débarrassé de tous ses ennemis potentiels, il s’est effondré à cause de problèmes internes. De même, les frontières naturelles d’Homo sapiens englobent depuis plusieurs dizaines de milliers d’années la Terre entière, un exploit dont aucune autre espèce ne peut se targuer. La concurrence est éliminée. Dès lors, comme l’ont montré les chercheurs d’Helsinki, la chute est inéluctable…
Mais nous ne sommes pas une espèce comme les autres. Nous pouvons par exemple comprendre d’où viennent les dangers qui nous menacent…
Bien sûr, cela rend Homo sapiens un peu imprévisible. Mais cela n’est pas forcément une bonne chose. Nous pourrions tous exploser dans une semaine parce que quelqu’un a appuyé sur le mauvais bouton nucléaire. Ou nous pourrions continuer l’aventure humaine pendant des millions d’années. Mais les Néandertaliens étaient cultivés, et ils n’ont existé que pendant un quart de million d’années. De manière générale, les mammifères vivent environ un million d’années, certains un peu plus, d’autres un peu moins. Alors oui, nous sommes une espèce spéciale, mais nous ne pouvons pas échapper à notre biologie. Il existe beaucoup de livres sur l’avenir de l’humanité, de Yuval Noah Harari à Michi Kaku. Ils sont souvent très idéalistes et futuristes, en imaginant que nous allons conquérir la galaxie ou nous télécharger dans des cerveaux informatiques. J’adore la science-fiction. Mais aucun de ces livres ne tient compte de la biologie fondamentale, de l’histoire de notre espèce et de la manière dont nous sommes limités par notre histoire.
En 1968, le biologiste néomalthusien Paul Ehrlich publiait le best-seller La Bombe P, alertant sur la surpopulation et annonçant des millions de morts par famine. Ces prévisions apocalyptiques, alors en vogue, n’ont pas eu lieu…
J’ai réussi à obtenir un exemplaire original du livre d’Ehrlich. Rétrospectivement, c’est un livre vraiment dérangeant avec ses descriptions des bidonvilles de New Delhi ou ses propositions de redessiner les frontières des pays « sous-développés »… Mais on peut pardonner à Paul Ehrlich de s’être montré si pessimiste sur le plan démographique, car à cette époque, l’accélération de la population humaine atteignait son apogée. Rien ne laissait présager qu’il en serait autrement, et que le taux de fécondité mondial chuterait à 2,2 enfants par femme. Ehrlich préconisait des stérilisations de masse. Mais des innovations comme la « révolution verte » ont permis la croissance de la population sans provoquer le cortège de calamités qu’il annonçait. Nous devrions dans chaque ville ériger des statues à un agronome comme Norman Borlaug, pas assez reconnu du grand public, mais qui, par simple sélection végétale, a permis de développer des variétés de blé et de riz plus productives. Cela nous a sauvés. Nous avons aujourd’hui presque trois fois plus d’humains que dans les années 1960, et pourtant, en moyenne, les personnes vivent plus longtemps, sont mieux éduquées et nourries, et croyez-le ou non, il y a moins de conflits.
Nous allons lentement nous adapter au réchauffement climatique, et l’argent aura le dernier mot
Mais la révolution verte semble s’essouffler, et on ne peut pas éternellement continuer à améliorer les cultures céréalières. La moitié de la production mondiale de la banane repose sur une seule variété, la Cavendish, composée que de clones. L’espèce est ainsi devenue la cible d’une multitude de parasites et de maladies qui font peser une lourde menace sur son avenir. Vous pouvez vous moquer de la banane, mais si cela arrivait avec le blé, ce serait très grave. Une seule espèce, nous, utilisons jusqu’à 40 % de la production photosynthétique de toutes les plantes. C’est énorme, et dangereux. Dans les laboratoires, des scientifiques commencent à produire de la nourriture sans aucune plante, mais cela prend du temps.
La chute des taux de fécondité dans le monde entier a pour facteur premier l’éducation et l’émancipation des femmes. N’est-ce pas une très bonne nouvelle ?
Absolument. Je suis paléontologue, et je réfléchis sur le très long terme. L’émancipation des femmes ne s’est faite qu’au cours de cent ou deux cents dernières années, ce qui est très court. Tout au long de l’évolution humaine, les femmes ont eu pour unique tâche d’avoir des enfants, dès qu’elles en étaient capables, jusqu’à ce qu’elles meurent en couche ou qu’elles atteignent la ménopause. Ce n’est que récemment qu’elles ont eu un rôle important à jouer dans les décisions économiques, politiques et surtout reproductives. C’est une évolution formidable.
Mais on voit aujourd’hui à quel point la chute des naissances devient un sujet d’inquiétude politique. Même la calme et ennuyeuse Suède a adopté des politiques natalistes. Sauf que toutes ces mesures échouent dans leurs objectifs de faire repasser les taux de fécondité au-dessus de 2,1, soit le seuil de remplacement des générations. Les jeunes font de moins en moins l’amour, ils sortent moins de chez eux et passent leur temps sur leur téléphone. Les facteurs économiques sont essentiels. Les jeunes s’insèrent plus tard sur le marché du travail, et il leur est de plus en plus difficile de trouver un logement.
Du fait de l’échec des politiques natalistes, les pays devraient rationnellement favoriser l’immigration. Mais on voit à quel point c’est une bombe politique, dans mon pays comme dans le vôtre. Aujourd’hui, tout responsable qui déclare que l’immigration est une bonne chose est certain de perdre les prochaines élections. Au Japon, en Corée du Sud et aujourd’hui en Chine, les populations baissent, car pour des raisons culturelles, ces nations ont moins tendance à accueillir des immigrés. Mais même l’Italie est déjà en déclin démographique, et selon une étude, pourrait perdre la moitié de sa population d’ici 2100. C’est catastrophique si on veut maintenir le système éducatif, la protection sociale, les soins aux personnes âgées… Au Royaume-Uni, notre système de santé, le National Health Service, est le plus grand employeur d’Europe, un énorme dinosaure qui continue à fonctionner avec des gens venus d’ailleurs. Tous les médecins sont désormais africains, arabes, chinois… Les électeurs de droite ne veulent pas d’immigration, sans se rendre compte qu’ils en ont besoin si on veut que les choses puissent continuer à fonctionner.
Nous devrions y réfléchir dès à présent, car bientôt, les pays qui exportent actuellement des immigrants connaîtront eux aussi une baisse de leur population, et voudront conserver leurs citoyens. D’un autre côté, le Nigeria, qui accueille déjà plus de 200 millions de personnes, devrait en compter près de 800 millions à la fin du siècle, ce qui en fera le deuxième pays le plus peuplé au monde. Si les gouvernements y sont instables, les infrastructures défaillantes, que les fondamentalistes islamiques poursuivent leurs incursions et que les populations se retrouvent victimes des effets du réchauffement climatique, ce serait un cocktail explosif…
A quel point le réchauffement climatique menace-t-il notre espèce ?
Notre espèce a toujours fait face à des changements climatiques. Mais il ne fait aujourd’hui plus aucun doute que les activités humaines modifient le climat très rapidement. Mon sentiment personnel est qu’il est déjà trop tard, mais on ne sait jamais avec les humains. Aujourd’hui, la moitié de l’humanité vit dans des villes, et les personnes aiment vivre dans des villes au bord de la mer, ce qui les rend vulnérables à la montée du niveau des eaux. Jakarta est déjà en voie de submersion, à tel point que certains envisagent de déplacer la capitale de l’Indonésie. Même dans des pays riches, une ville comme New York est construite sur des îles de faible altitude. D’ici la fin du siècle, elle pourrait être noyée sous deux mètres d’eau. Aux Etats-Unis, le climatoscepticisme est important, mais il y a déjà plus de réfugiés climatiques dans ce pays que du temps de la sécheresse des années 1930.
On parle souvent du réchauffement climatique en des termes apocalyptiques, mais au final, les solutions seront prosaïques. Les personnes ne pourront plus retourner dans des zones inondables parce qu’elles n’obtiendront plus d’assurance pour leurs maisons ou leurs entreprises, et seront contraintes au déménagement. Nous allons lentement nous adapter, et l’argent aura le dernier mot. Cela s’est toujours produit dans l’Histoire. Des villes ont été entièrement abandonnées non pas à cause de conflits, mais du fait de la sécheresse et du climat. La civilisation mésopotamienne a décliné parce que le sud de la région s’est ensablé pour former l’actuelle Arabie. Si nous voulons éviter beaucoup de chagrin et de détresse, nous devrions y réfléchir dès maintenant…
Dans le livre, vous assurez que la seule solution pour l’humanité, c’est la colonisation spatiale. Elon Musk a-t-il donc raison ?
Oui et non. Les êtres humains sont de plus en plus coupés de la nature et vivent dans des villes autonomes. Dans les pays du Golfe, on passe déjà d’un taxi climatisé à un hôtel climatisé, car les températures extérieures sont extrêmes. C’est évidemment une mauvaise nouvelle pour ceux qui ont moins de moyens pour combattre le réchauffement climatique. Je me suis ainsi demandé si on pourrait déplacer des villes dans l’espace. Après-guerre, l’auteur de SF James Blish avait imaginé dans Cities in Flight des cités capables de voler dans l’espace, à la recherche d’opportunités économiques. Bien sûr, ses solutions technologiques étaient complètement fantaisistes.
Tout cela n’est peut-être qu’un rêve…
Mais si nous prenons cette piste spatiale au sérieux, il faudra le faire dans les 200 prochaines années environ. Car pour que cela soit possible, il faut de la technologie, des financements, des ingénieurs et donc beaucoup de cerveaux. Or on sait désormais qu’il faut une population importante pour que les innovations réussissent. Si les humains sont trop nombreux sur la planète, cela ne sera plus possible, d’autant que nos connaissances en termes d’exploration spatiale sont encore très limitées. Les rares humains qui se sont aventurés au-delà de la magnétosphère protégeant des radiations cosmiques faisaient tous partie du programme Apollo. Tous étaient des hommes sélectionnés pour leurs aptitudes physiques et leurs connaissances techniques. Il y a eu environ 400 astronautes, dont de nombreuses femmes, mais dans l’orbite terrestre basse. Nous ne savons ce que cela fait d’avoir des bébés dans l’espace. Et que faites-vous si vous êtes sur Mars et que vous avez besoin d’un dentiste, d’un pédiatre ou d’un autre spécialiste ? Cela signifie que des colonies spatiales devront au moins regrouper des milliers de personnes pour être viables. Mais nous sommes loin de disposer des technologies nécessaires. Avons-nous aussi réfléchi à ce qui se passerait sur le plan juridique si Elon Musk fondait une ville sur Mars, alors que le Traité sur l’espace extra-atmosphérique considère cela comme un bien commun ? Nous Britanniques sommes entrés en guerre avec l’Argentine pour le contrôle des Malouines, des îles du sud de l’océan Atlantique largement inhabitées. Imaginez les conflits géopolitiques que pourrait provoquer la colonisation de l’espace…
En quoi la colonisation de l’espace pourrait-elle être bénéfique pour la diversité humaine ?
La colonisation de l’espace serait une bonne chose pour la population humaine. L’une des tragédies d’Homo sapiens, c’est que nous sommes les seuls à avoir survécu. D’autres hominiens intelligents auraient pu évoluer, avoir un langage. Je trouve cela très triste. Une façon d’y parvenir à l’avenir, c’est de créer des colonies dans l’espace. Il y aurait parfois des croisements, mais la plupart du temps, ces colonies produiraient leurs propres traditions. Homo sapiens pourrait survivre, mais aussi se décliner dans un éventail de nouvelles espèces, aussi différentes les uns des autres qu’Homo erectus et Néandertal.
Mais tout cela n’est peut-être qu’un rêve. Peu de personnes se disent qu’elles veulent aller dans l’espace pour sauver l’espèce humaine de façon rationnelle. Par le passé, les colonisations ont souvent été vouées à l’échec, ruinant les économies nationales. L’Ecosse, qui était politiquement séparée de l’Angleterre, a voulu avoir sa part de gâteau, et a décidé de fonder une colonie au Panama à la fin du XVIIe siècle. Les Espagnols, les Amérindiens et les maladies comme la fièvre jaune ont fait échouer ce projet coûteux, ce qui a obligé l’Ecosse à fusionner avec l’Angleterre. A l’inverse, l’Espagne, qui elle a conquis de nombreux territoires dans le Nouveau Monde, a provoqué une hyperinflation du fait de tout l’or et argent en circulation. L’Empire espagnol a ainsi sombré à cause de son propre succès.
Vous n’êtes donc pas très optimiste quant à la réussite de cette colonisation spatiale ?
Est-ce qu’à l’âge de 63 ans, je voudrais aller dans l’espace ? Non, je préfère pouvoir sortir à l’air libre sans enfiler de combinaison spatiale. Je tiens à mon confort. Mais quand j’avais cinq ans, la folie de la conquête de la Lune était à son apogée. On présentait alors ça comme une fatalité. Enfant, je trouvais ça génial, et rêvais d’être astronaute. Un produit culturel comme Star Trek a aussi contaminé des générations.
Bien sûr, depuis, plus personne n’est allé sur la Lune. Mais les choses changent, et il pourrait y avoir un nouvel engouement. L’exploration spatiale humaine a été au point mort pendant longtemps, mais elle revient, en grande partie parce qu’elle devient plus abordable. Avant, seuls deux ou trois pays pouvaient se le permettre. Désormais, même des nations petites se lancent, et de nombreuses entreprises privées comme des milliardaires excentriques, à l’image de Musk, Jeff Bezos ou Richard Branson, investissent des sommes considérables. Quoi qu’on pense de leur vie personnelle ou de leurs motivations morales, voilà un phénomène excitant, avec des visionnaires qui envisagent l’espace d’une manière qui pouvait passer pour de la science-fiction il y a encore une génération.
Il ne faut pas sous-estimer l’évolution technologique. Mon oncle était né dans l’Empire allemand en 1904. L’avion venait d’être inventé, avec le biplan motorisé des frères Wright. Ce même oncle avait soixante-cinq ans lorsque les hommes ont conquis la Lune. En l’espace d’une vie humaine, c’est extraordinaire ! Ce rythme de progrès technologique n’a jamais été vu dans l’histoire de l’humanité, et ne se reproduira peut-être jamais. Car la croissance démographique a atteint son apogée dans les années 1960. Une coïncidence ? Je ne pense pas…
Grandeur et décadence de l’empire humain, par Henry Gee, traduit de l’anglais par Marc Lesage. JC Lattès, 368 p., 21,90 €.
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Author : Thomas Mahler
Publish date : 2025-09-16 16:00:00
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