« Don’t stop me now » (Ne m’arrêtez pas maintenant). En ce début d’automne, le slogan emprunté au célèbre groupe de rock britannique Queen illumine de ses lettres blanches une tour de refroidissement de la centrale de Tihange, en Belgique. Un cri du cœur contre la fermeture définitive d’un réacteur nucléaire essentiel pour le pays. Serge Dauby, directeur général du Forum nucléaire belge, salue l’initiative, après deux décennies de politique inverse. Selon lui, l’énergie de l’atome a fait la preuve de son utilité. Soit pour décarboner le système électrique, soit pour contribuer à sa stabilité face aux risques de pannes géantes. « Une course contre la montre s’est engagée », confirme le responsable. Conformément à la loi votée en 2003 sous l’impulsion des écologistes, l’activité du réacteur Tihange 1 a été stoppée il y a deux semaines, préambule à son démantèlement. Un autre réacteur, Doel 2, doit également être mis à l’arrêt prochainement.
« Nous disposions encore de six gigawatts de puissance début 2024. Or, nous sommes partis pour tomber à deux en fin d’année », déplore Serge Dauby. Le nouveau gouvernement, clairement favorable à l’atome, parviendra-t-il à stopper l’hémorragie ? Le nucléaire ne représente plus que 10 % du mix électrique du pays, loin des 50 % passés, alors que la consommation domestique d’électricité pourrait doubler d’ici à 2050. « La Belgique se trouve dans une situation défavorable, sans gaz ni pétrole, avec un accès limité à la mer et moins de place qu’en France pour installer des énergies renouvelables. Nous ne pourrons pas compter sur de nouvelles capacités de production nucléaire avant 2040. L’enjeu principal, à court terme, consiste donc à prolonger la durée de vie de trois réacteurs : Tihange 1, fermé le 1er octobre dernier ; Doel 1, mis à la retraite début 2025 et Doel 2 dont la fermeture était programmée le 1er décembre prochain. Cela permettrait de sauvegarder deux gigawatts de puissance électrique », détaille Damien Ernst, professeur à l’université de Liège.
Remonter la pente s’annonce compliqué. Pour assurer un avenir à ces installations usagées, il faudra d’abord assouplir les règles de sûreté. Les trois réacteurs concernés ne sont pas parfaitement protégés contre les crashs de gros avions. Tihange 1, par exemple, ne possède pas de double enceinte. Le respect des dernières normes sismiques doit aussi être examiné. « Les Suisses et les Hollandais ont déjà prolongé le fonctionnement de centrales qui n’étaient pas plus sûres que Tihange 1, Doel 1 ou Doel 2 », assure Damien Ernst. Cependant, les discussions avec l’Agence fédérale de contrôle nucléaire, qui tient à son indépendance, prennent généralement du temps. La Belgique n’est pas non plus à l’abri d’un réveil des antinucléaires accusant le pays de brader la sûreté de ses réacteurs.
Eviter un autre Fessenheim
L’autre difficulté pour le gouvernement consiste à trouver un repreneur pour les centrales concernées. Le propriétaire actuel – Electrabel – fait partie du groupe Engie qui souhaite se désengager du nucléaire. « L’entité à sauver ne veut pas l’être. Engie-Electrabel, qui est le fondateur du Forum nucléaire belge, s’en est retiré le 31 décembre 2022. Donc l’opérateur nucléaire historique en Belgique ne fait plus partie de la fédération sectorielle, ce qui n’arrange pas la situation », constate Serge Dauby. C’est là qu’EDF pourrait entrer en piste. Selon plusieurs sources, le groupe français étudierait la reprise de différents actifs nucléaires d’Engie en Belgique. « EDF est déjà propriétaire à 50 % de Tihange 1. Impliquer davantage le groupe permettrait non seulement d’envisager plus sereinement le prolongement de la durée de vie des centrales, mais aussi de se projeter sur la construction de nouvelles unités. Car EDF reste le dernier grand opérateur et constructeur de centrales nucléaires en Europe », analyse Damien Ernst.
Encore faut-il appâter suffisamment le groupe français. Des incertitudes demeurent sur le coût de la remise aux normes des actifs belges ainsi que sur leur durée maximale de fonctionnement. « En échange de son investissement, EDF demandera sans doute un tarif d’achat garanti au gouvernement belge. Pour autant, on n’améliorera pas la souveraineté énergétique de la Belgique en donnant les clés du camion à EDF », glisse un expert. En d’autres termes, il faudra des mois et de nombreux avocats avant de trouver un éventuel compromis.
Or, pendant ce temps, la menace du démantèlement plane toujours. « Il faut à tout prix éviter de se lancer dans des opérations irréversibles », prévient Serge Dauby. Pas question pour la Belgique de reproduire l’erreur de la France avec Fessenheim. Le pays compte ses atouts : un gouvernement déterminé et une capacité de décision plus efficace que celle du voisin français. « On ne récupère pas vingt ans d’indécision ministérielle en quelques mois », admet Serge Dauby. L’expert se veut néanmoins optimiste. A l’image de cet autre slogan que l’on pouvait lire sur la cheminée de Tihange 1 il y a quelques jours : « I’ll be back » (Je reviendrai).
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Author : Sébastien Julian
Publish date : 2025-10-16 05:00:00
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