L’Express

Guerre en Ukraine : « Si les générateurs de la centrale nucléaire de Zaporijia venaient à tomber en panne… »

Guerre en Ukraine : « Si les générateurs de la centrale nucléaire de Zaporijia venaient à tomber en panne… »

Les semaines passent et la centrale nucléaire de Zaporijia, considérée comme la plus grande d’Europe, reste privée d’électricité. Depuis l’invasion russe, sa situation n’a cessé de se détériorer. Avant 2022, elle pouvait compter sur une dizaine de lignes électriques externes. Mais ces derniers mois, la centrale ne dépendait plus que d’une seule ligne électrique externe de 750 kilovolts. Or celle-ci a été coupée à 16h56 heure locale le 23 septembre dernier, selon la direction de la centrale mise en place par la Russie et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). L’incident aurait eu lieu à environ 1,5 kilomètre du site en raison d’actions militaires. Quelles sont les conséquences possibles pour le refroidissement des réacteurs ? La Russie doit-elle être sanctionnée davantage pour son comportement sur place ? L’Express fait le point avec Dmitry Gorchakov, expert en nucléaire et conseiller de l’ONG Bellona.

L’Express : La centrale est-elle toujours privée d’électricité ? Les risques de voir un incident grave se produire sont-ils élevés ?

Dmitry Gorchakov : En effet, depuis le 23 septembre, la centrale est toujours [NDLR : au 16 octobre] déconnectée du réseau électrique externe. Elle continue d’être alimentée en électricité par des générateurs diesel, et cette situation peut durer assez longtemps. Cependant, si les générateurs venaient à tomber en panne, les systèmes de refroidissement cesseraient de fonctionner et le combustible commencerait à chauffer. Étant donné que tous les réacteurs sont à l’arrêt depuis plus de trois ans, la production de chaleur résiduelle est relativement faible. Néanmoins, après plusieurs jours ou semaines sans refroidissement, le combustible pourrait faire bouillir l’eau restante et commencer à fondre, ce qui pourrait entraîner la perte de l’intégrité du réacteur et de l’enceinte de confinement et, au minimum, une contamination locale du site et des eaux souterraines, à moins que le personnel de la centrale ne prenne des mesures en temps utile.

La Russie cherche-t-elle vraiment à connecter la centrale nucléaire de Zaporijia à son propre réseau électrique ? Pourquoi ? Est-ce risqué ?

Au cours des dernières années, des responsables russes de haut rang ont exprimé à plusieurs reprises cette intention. Des préparatifs techniques sont également en cours, notamment des travaux sur les lignes de transport d’électricité, le développement de systèmes alternatifs d’approvisionnement en eau à partir du Dniepr et de ses affluents, etc. Pour la Russie, cela démontre son intention de conserver la centrale de manière permanente.

Moscou pourrait même utiliser cette crise pour justifier le raccordement de la centrale à son propre réseau, se présentant ainsi comme le sauveur qui a empêché une catastrophe nucléaire ! Cependant, il serait extrêmement dangereux de remettre en service ne serait-ce qu’un seul réacteur dans une centrale située littéralement en première ligne, au milieu de combats qui pourraient déclencher un accident. Heureusement, même des sources russes affirment qu’une remise en service ne pourrait avoir lieu qu’en cas de changement de la situation politique, ce qui signifie très probablement une forme de cessez-le-feu entre les parties.

Selon vous, la Russie n’est pas suffisamment sanctionnée pour son comportement à Zaporijia. Quelles mesures l’UE ou l’AIEA pourraient-elles prendre ?

En aucun cas, la centrale nucléaire de Zaporijia ne doit être reconnectée au réseau russe ou redémarrée. L’installation doit revenir sous le contrôle total de son propriétaire légitime, l’Ukraine. Bellona appelle l’AIEA et les autres organisations internationales à ne pas soutenir ni légitimer les projets illégaux de la Russie visant à intégrer la centrale nucléaire de Zaporijia à son propre système énergétique ou à normaliser le statut actuel d’occupation.

Concernant les sanctions, l’UE pourrait réduire considérablement ses importations de matières nucléaires en provenance de Russie (uranium et combustible nucléaire). Cependant, de telles sanctions n’ont pas été adoptées jusqu’ici en raison de la forte opposition de la Hongrie et de plusieurs autres pays. Néanmoins, un certain nombre d’États qui importaient auparavant de Russie prennent désormais des mesures indépendantes pour réduire ces achats. Ces tendances doivent être soutenues, y compris en ce qui concerne le gaz russe, dans l’espoir qu’une interdiction à l’échelle de l’UE soit finalement adoptée.

Jusqu’à présent, la principale contribution de l’AIEA à la situation à la centrale de Zaporijia a été le déploiement de sa mission de surveillance, qui sert à la fois de moyen de dissuasion et de source importante d’informations. Cependant, l’AIEA, comme d’autres organes des Nations unies, est limitée par la Charte des Nations unies et par la participation de la plupart des États membres, y compris la Russie, à ses structures de gouvernance. Elle ne peut pas suspendre ou sanctionner la Russie tant que ce pays fait partie du Conseil de sécurité des Nations unies et de la direction de l’AIEA. On peut néanmoins espérer que l’Agence adoptera une position plus active en plaidant pour la restitution de la centrale à l’Ukraine, et en soulignant qu’il est inacceptable de la redémarrer tant que les hostilités se poursuivent.



Source link : https://www.lexpress.fr/environnement/guerre-en-ukraine-si-les-generateurs-de-la-centrale-nucleaire-de-zaporijia-venaient-a-tomber-en-VW3FCKYFPVAA3OGOLJLYKGSFSU/

Author : Sébastien Julian

Publish date : 2025-10-17 14:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express
Quitter la version mobile