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Zohran Mamdani : les six enseignements d’un séisme politique qui dépasse New York

Zohran Mamdani : les six enseignements d’un séisme politique qui dépasse New York

S’il fallait une preuve supplémentaire que la carte de la peur ne suffit plus à discréditer un adversaire électoral, la victoire de Zohran Mamdani à New York en est la parfaite illustration. Le candidat démocrate a été qualifié de « fou communiste à 100 % » par Donald Trump et dépeint, par une frange de la droite dure, comme un « djihadiste » ou un « terroriste islamiste ». Une surenchère verbale qui a fini par reléguer au second plan les mises en garde des économistes sur l’impact du programme du jeune socialiste pour les finances new-yorkaises.

De nombreux scrutins l’ont montré ces dernières années : là où le vide s’installe, les extrêmes prospèrent. Qui se souvient ainsi d’une mesure phare du programme macroniste aux législatives de 2024, ou de celui de Kamala Harris face à Donald Trump lors de l’élection présidentielle américaine ? Les progressistes, des deux côtés de l’Atlantique, ont passé plus de temps à diaboliser leurs adversaires qu’à soigner leur programme. Il suffit de se rappeler des mises en garde répétées aux électeurs contre la « fasciste » Marine Le Pen ou le « nazi » Donald Trump. Résultat : malgré la résurgence d’un Front républicain, le Rassemblement national a fait élire 126 députés à l’Assemblée, contre 89 deux ans plus tôt, et caracole depuis en tête des sondages. Donald Trump, lui, a retrouvé le chemin de la Maison-Blanche.

Le principal rival de Zohran Mamdani, Andrew Cuomo, défait lors de la primaire démocrate de juin, n’a pas seulement joué la carte de la peur. Il a aussi misé sur l’establishment, se posant en défenseur de l’ordre établi sans donner le sentiment de devoir faire campagne. Là où l’ancien rappeur, lui, a préféré la proximité. Voici sans doute la deuxième leçon à méditer pour tous les « modérés », qu’ils soient de droite ou de gauche : face à un adversaire qui a tout misé sur le flair (le thème du coût de la vie) et la forme (une campagne de terrain et une maîtrise redoutable des réseaux sociaux) plutôt que sur la rigueur du contenu, mieux vaut proposer une vision et jouer le fond que de sombrer dans une rhétorique usée, faite de diabolisation et de mépris pour un CV jugé trop maigre pour être maire de New York. Aux yeux de millions de téléspectateurs, prendre la jeunesse de haut vous donne un coup de vieux, même à 67 ans, en particulier face à un as de la communication comme Mamdani. Andrew Cuomo en a fait l’expérience lors du débat télévisé du 16 octobre, après l’avoir attaqué sur sa faible expérience. Réponse instantanée de l’intéressé : « Ce qui me manque en expérience, je le compense par mon intégrité. Et ce qui vous manque en intégrité, vous ne le compenserez jamais par votre expérience. » Une allusion directe à la démission de Cuomo en 2021, après une enquête ayant établi qu’il avait harcelé sexuellement 11 femmes, dont plusieurs employées de l’État, accusations qu’il continue de nier.

Une séquence ravageuse qui a tourné en boucle sur les réseaux sociaux. Andrew Cuomo ignorait peut-être que les attaques personnelles ont un impact minime sur l’image du candidat visé, comme le montre une méta-analyse de 111 études publiée en 2017 et relayée par le Polarization Research Lab. Pire, « le résultat final des campagnes négatives est, au mieux, nul pour les attaquants ou, au pire, nuisible à leur propre campagne ». Pourtant, 69 % des 2,1 milliards de dollars dépensés lors des élections de mi-mandat en 2022 aux Etats-unis ont été consacrés à des publicités négatives. Les résultats de cette méta-analyse ont été confirmés par des recherches plus récentes qui prouvent que, au-delà de leur inefficacité, ces approches négatives affaiblissent la confiance dans les institutions.

Une génération surdiplômée déboussolée

Troisième enseignement du scrutin new-yorkais : si les propositions d’Andrew Cuomo mais également du maire sortant Eric Adams – avant qu’il ne jette l’éponge – sont restées largement inaudibles, c’est aussi en raison de leur image dégradée auprès de l’opinion. Les modérés pensaient pouvoir l’emporter en misant au choix sur Cuomo, ex-gouverneur accusé de harcèlement mais aussi d’avoir dissimulé le nombre de morts du Covid dans les maisons de retraite, ou sur Eric Adams, mêlé à une affaire de corruption (définitivement classée par la justice en avril) et dont la popularité n’atteignait que 20 %, selon un sondage Quinnipiac, soit du jamais vu en trente ans. Deux hommes qui ont de surcroît reçu le soutien de… Donald Trump. Le second, selon Politico et le New York Times – information démentie par l’intéressé – se serait même vu proposer un poste dans l’administration Trump… Pas de quoi ramener dans leur giron les électeurs démocrates de New York – bastion anti-Trump -. En revanche, cela a donné des couleurs au sulfureux candidat républicain au béret rouge, Curtis Sliwa, dont l’authenticité a su séduire une partie de l’opinion.

Andrew Cuomo et Eric Adams sont des symboles d’un centrisme fatigué, qui s’effrite au profit de figures « authentiques » ou disruptives. « Mamdani s’exprime avec sincérité — même lorsqu’il doit revenir sur ses propos et se corriger, c’est préférable à un discours calibré de consultant. Les gens repèrent les messages testés par sondage à des kilomètres, et cela rebute les électeurs », analyse l’universitaire américaine Joan C. Williams, bien que réservée sur les solutions proposées par le candidat.

C’est là un autre enseignement : quand les élites oublient de parler du fond, du réel et des réformes, elles se font humilier au sein même de leurs bastions urbains. Là où hier l’inaction ou la déconnexion des modérés ouvrait un boulevard aux populistes de droite, elle permet aujourd’hui à la gauche radicale de mettre la main sur la première place financière mondiale. La percée de Mamdani est peut-être avant tout le symbole des failles de l’establishment sur la question de la jeunesse et celle du logement. Dans la ville la plus chère des États-Unis, où près de la moitié des locataires consacrent plus de 30 % de leurs revenus au loyer – et un quart plus de 50 % –, Mamdani a recentré le débat sur des préoccupations très concrètes, bien que sa proposition de gel des loyers puisse, selon les économistes et professionnels de l’immobilier, se retourner contre les populations qu’il prétend défendre.

Lui-même issu d’un milieu favorisé, ayant fréquenté des grandes écoles, il a séduit cette génération surdiplômée en situation de déclassement social. « Zohran Mamdani est la réponse à leurs rêves », analysait récemment l’essayiste Rob Henderson. « Les jeunes adultes d’aujourd’hui bénéficient d’un confort sans précédent : les vols sont abordables, les repas arrivent d’un simple toucher sur un écran, et les taux de diplômés universitaires ont explosé. Pourtant, malgré tous ces progrès, l’accès à la propriété dans les grandes villes reste hors de portée. Et cela a son importance. Face à cette réalité, le socialisme offre une solution rassurante. Prendre aux riches pour donner aux pauvres est l’une des idées les plus anciennes et les plus puissantes de la politique », décrit-il.

Et à ce titre, se trouve ici le cinquième enseignement de la victoire de Mamdani. La gauche radicale prospère là où l’économie de marché a cessé d’offrir des perspectives crédibles de progrès. Or le logement devient aujourd’hui la mère de toutes les batailles, un sujet majeur de préoccupation. « La grande erreur des progressistes a été d’abandonner cette aspiration à la propriété. Une grande partie de leur idée repose sur le fait que les gens devraient vivre plus densément regroupés, qu’ils devraient prendre les transports en commun, ne pas avoir de voiture et vivre dans des appartements. C’est essentiellement le mantra des partis progressistes partout dans le monde. Les démocrates ont été ceux qui ont rendu très difficile le fait de construire davantage de logements abordables dans des endroits comme New York ou la Californie », déplorait le chercheur américain en urbanologie Joel Kotkin dans nos colonnes.

Sans surprise, La France insoumise est allée faire campagne pour lui à New York, flairant là une opportunité de surfer sur son succès. Mais – dernier enseignement du scrutin – Manon Aubry et ses amis de LFI devraient se rappeler que New York n’est pas l’Amérique, pas plus que Paris n’est la France : l’extrême gauche prospère dans les enclaves mondialisées, pas dans le reste du pays. A l’heure où la gauche américaine – déchirée entre radicaux et centristes – se cherche un nouveau leader pour la prochaine présidentielle, il n’est pas certain que le « socialisme démocratique » de Mamdani trouve un large écho dans l’Amérique rurale.

En Virginie, Abigail Spanberger, la candidate démocrate victorieuse ce mardi 4 novembre au poste de gouverneur, parle elle aussi du coût de la vie mais adopte une ligne modérée, loin des propositions socialistes. L’élue veut relativiser la « hype » Mamdani au sein de son parti. La députée Suzan DelBene, responsable de la stratégie électorale des démocrates à la Chambre, va dans le même sens : « Les électeurs en Arizona ou dans l’Iowa ne pensent pas à qui sera maire de New York ». Entre les deux radicalités de Donald Trump et de Zohran Mamdani, reste-t-il une place pour la modération incarnée par Abigail Spanberger ? Le magazine The Economist apportait récemment une forme de réponse : « Avec un perturbateur comme Trump à la Maison-Blanche, beaucoup de gens aspirent à quelqu’un d’un peu ennuyeux. »



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Author : Laurent Berbon

Publish date : 2025-11-05 07:48:00

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