La France est un pays curieux. La politique est un drôle de métier. Emmanuel Macron n’est pas un président comme les autres. Mais combien font 1 + 1 + 1 ? Alexis Kohler, dont Le Figaro annonce le départ, vient de vivre une expérience unique en étant, huit ans durant, secrétaire général de l’Elysée, fonction la moins éclairée de la place publique et pourtant la plus puissante.
Nous sommes à l’été 2023. Au terme d’une année épuisante, qui a vu le chef de l’Etat être réélu, la guerre se réinstaller sur le territoire européen et le pays à sang et à feu à cause d’une réforme des retraites qui repousse à 64 ans l’âge légal de départ, Alexis Kohler prend deux semaines de vacances. Et que fait un homme comme lui pendant ses congés estivaux ? Il se pose une question que tous les touristes n’ont pas forcément en tête : au fond, si l’exécutif avait opté pour un effort encore plus grand, les 65 ans, cela aurait-il changé grand-chose ? Tant qu’à y aller… La suite des événements ne fera que conforter ses intuitions. Bientôt la plupart des pays européens repousseront encore l’âge du départ, certains réfléchiront même à le mettre à 70 ans. Et le secrétaire général de l’Elysée observera le mouvement avec ironie : décidément, la France est un îlot, les Français sont différents. Un pays curieux, vous disait-on.
Et la politique un drôle de métier. En octobre 2022, Emmanuel Macron est à la télévision, pour deux longues interviews sur la politique internationale et ses répercussions sur la situation intérieure. Alexis Kohler est passé à l’offensive, il veut à tout prix que son cher président n’y aille pas par quatre chemins : qu’il dise les choses, au risque de froisser ! Qu’il explique que la fiscalité ne résout pas tout, que seul l’Etat peut absorber le coût de la hausse de l’électricité et que cela n’est pas sans conséquence. Le président le fera, le secrétaire général relèvera de son côté que les ministres ne se bousculent pas au portillon pour relayer la parole présidentielle. Quelle que soit la manière de tourner le problème, Il faut travailler plus, ce n’est pas que le message est complexe, c’est seulement qu’il est compliqué à assumer.
Alexis Kohler se désolait souvent de constater qu’ici, et ici seulement, la priorité des priorités restait en permanence le pouvoir d’achat, qu’il vente ou qu’il neige. Et que c’était un combat perdu d’avance. Il a aussi maudit la droite, incapable de se comporter comme un parti de gouvernement, préconisant des économies sans jamais les afficher sérieusement, il a maudit la gauche, seulement capable de recourir à la hausse d’impôts pour résoudre ses équations financières.
« Ma nature, mon devoir, c’est d’être pessimiste »
Toute œuvre est inachevée, disait François Mitterrand au terme de sa présidence. Alexis Kohler, si fier des réformes sur le travail du début du premier quinquennat Macron, aurait rêvé du grand soir pour l’école, il n’a cessé de pousser pour que le lycée professionnel, « la plus grande fabrique à chômage de France » comme il le remarquait parfois, soit réformé de fond en comble. Il a toujours plaidé pour que rien ne freine cette ambition réformatrice, qu’il s’agisse des grandes crises (Gilets jaunes, Covid) ou des échéances politiques du pays. Il martelait fréquemment que si on pilote des réformes en fonction des élections, c’était la fin des haricots. Il ne le disait pas comme ça, les haricots ne sont pas une spécialité alsacienne. On parierait volontiers que la dissolution n’est pas ce qu’il a préféré de son expérience au sommet de l’Etat. Un plat peu digeste pour les estomacs (et les esprits) rationnels.
Il s’en va au moment où l’Occident menace de s’effondrer, où l’Europe ne rime plus avec la paix, où la Chine avance ses pions, où les Etats-Unis font leur révolution. Si cette addition ne donne pas « un énorme coup de pied dans les fesses » aux Français, alors rien ne pourra jamais provoquer chez eux un sursaut. « Ma nature, mon devoir, c’est d’être pessimiste », a-t-il régulièrement répété. Mais la fatalité n’est pas le genre de la maison. De toute manière, il a toujours été convaincu qu’il était impossible de continuer à faire comme avant. Le risque à ses yeux, ce n’est pas que les Français ne le comprennent pas, c’est qu’ils le comprennent trop tard.
L’époque n’était pas forcément sa meilleure alliée, lui qui faisait partie de ceux pour qui la vérité n’est pas une opinion comme une autre. En février, il a accompagné Emmanuel Macron quand celui-ci a rendu visite à Donald Trump. Ces derniers jours, il confiait à ses visiteurs que l’élection du président américain avait libéré les forces les plus folles de certains dirigeants dans le monde. Il regardera désormais l’irrationnel diriger le monde de plus loin, sans risquer de s’y brûler.
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Author : Eric Mandonnet
Publish date : 2025-03-27 18:02:00
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