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Mitterrand – Arafat : quand la Palestine faisait déjà s’embraser la classe politique française

Mitterrand – Arafat : quand la Palestine faisait déjà s’embraser la classe politique française

« Mitterrand démission ! » Ce n’est ni la première, ni la seule fois que ces mots résonnent dans les rues de Paris. Mais cette fois, c’est l’histoire qui se fait entendre. Le 2 mai 1989, la rue Copernic est bondée, des milliers de personnes participent au rassemblement organisé par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) contre la visite du leader palestinien Yasser Arafat. Des élus de droite, de l’ancien ministre UDF François Léotard à Jean Tiberi premier adjoint RPR au maire de Paris, sont venus nombreux, ainsi qu’un conseiller socialiste de Paris, Pierre Aidenbaum. Le lieu ne doit rien au hasard : c’est dans cette rue que se trouve la synagogue visée par un attentat qui a fait trois morts le 3 octobre 1980. Et la tension est maximale. Il faudra l’intervention d’Enrico Macias, qui entonne avec la foule Ya Ha Al Shalom (« Que Dieu fasse la paix ») et la lecture du Kaddish (prière des morts), pour ramener le calme.

Discuter avec un « terroriste » ? Reconnaître son organisation, l’OLP ? La première fois que Yasser Arafat a rencontré un ministre français, c’était en 1974, au début du septennat de Valéry Giscard d’Estaing : il s’agissait de Jean Sauvagnargues au Quai d’Orsay. En 1988, Roland Dumas l’a vu à Strasbourg. L’année suivante, François Mitterrand décide de le recevoir à l’Elysée. Polémique immédiate. Au point que le chef de l’Etat décide dans le mois qui précède d’accélérer le calendrier, afin de prendre de vitesse le mouvement de protestation qui s’organise au sein de la communauté juive de France.

Arafat s’assoit dans un fauteuil de l’Elysée.

Le 2 mai 1989 va constituer un tournant. A 11 heures ce jour-là, après avoir serré son hôte dans les bras, Yasser Arafat s’assoit dans un fauteuil de l’Elysée. Il a été accueilli à l’aéroport par un secrétaire d’Etat, sans drapeaux – il n’est pas chef d’Etat. Seul un fanion, aux couleurs palestiniennes, est placé à l’avant de la 604 métallisée mise à sa disposition et il a fallu des heures de discussion pour en arriver là. Dans la cour du palais, aucun garde républicain.

L’entretien dure une heure et demie avec, dans les dernières minutes, un vrai tête-à-tête, sans témoin, souhaité par François Mitterrand au cas où le Palestinien aurait voulu faire passer un message aux dirigeants israéliens. Au cœur des discussions, les contradictions entre la charte de l’OLP de 1964 (dont le principe essentiel consiste à nier le droit à l’existence d’Israël puisqu’elle préconise « l’élimination de la présence sioniste et impérialiste » de Palestine, tient pour illégal le plan de partage de la Palestine voté par l’ONU en 1947 et l’établissement de l’Etat juif) et le programme politique de l’OLP de 1988, qui condamne « fermement » le terrorisme.

La France a mis deux conditions pour que la rencontre ait lieu : l’adoption par l’OLP des résolutions de l’ONU comportant la reconnaissance de l’Etat d’Israël et de ses droits, ainsi que le renoncement par l’OLP à toute forme de terrorisme. Quelques mois plus tôt, en février 1989, François Mitterrand a déjeuné avec le Premier ministre israélien Yitzhak Shamir et la discussion a été vive, voire virulente : « Vous dites vouloir la paix, mais si vous ne savez pas avec qui en parler, ça ne sert pas à grand-chose. Si vous niez toute représentativité des Palestiniens à l’OLP, vous n’aurez plus personne devant vous. » Il lui avait laissé entendre qu’il prendrait une initiative.

L’événement médiatique est encore à venir. Yasser Arafat est l’invité du journal de 20 heures de TF1. En fin d’après-midi, il a échangé avec le ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas, qui lui suggère de dire à la télévision que la charte palestinienne est « caduque ». A Pierre Favier et Michel Martin-Roland, auteurs de La décennie Mitterrand, Dumas racontera : « Avec Ibrahim Souss (délégué général de la Palestine en France) nous nous étions mis d’accord pour qu’Arafat prononce le mot « caduc » au premier soir de sa visite. Et dans la voiture qui le conduisait vers les studios, Souss ne cessait de lui répéter ‘caduc, caduc’, pour lui enfoncer le mot dans la tête. »

Yasser Arafat s’exprime en arabe, s’interrompt un instant : « Je crois qu’il y a une expression française : c’est caduc (il prononce cadouc). » Le terme a été choisi pour permettre à Arafat de ménager l’opinion palestinienne : il devient inutile d’amender cette charte, encore moins de l’abroger, puisqu’elle est tombée en désuétude.

Chirac ne l’a pas reçu

La classe politique française s’embrase. Jacques Chirac, absent de Paris, n’a par conséquent pas reçu le Palestinien à l’Hôtel de ville. Quelques jours plus tôt, lors d’une rencontre avec les étudiants de l’université de Harvard aux Etats-Unis, il a désapprouvé la visite officielle en France du chef de l’OLP, estimant que « la clé du mouvement pour la paix au Moyen-Orient ne passe pas par l’OLP mais par le chef du gouvernement israélien, Itzhak Shamir. » Valéry Giscard d’Estaing, qui préside alors la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, avait annoncé de son côté qu’il refusait de rencontrer Arafat en raison du caractère « officiel » de sa visite : selon lui, une visite officielle de ce type vaut « reconnaissance ».

Laurent Fabius, président de l’Assemblée nationale, ne le rencontre pas non plus. S’il fait savoir qu’il approuve la visite, l’ancien chef de gouvernement « n’a pas le temps » de le recevoir. Yasser Arafat s’entretient en revanche avec Pierre Mauroy, à la tête d’une délégation du Parti socialiste, le secrétaire général du Parti communiste Georges Marchais et croise, à l’Institut du monde arabe, une centaine d’intellectuels, dont Régis Debray, Michel Jobert, Mgr Gaillot, évêque d’Evreux, Gilles Deleuze, Félix Guattari et Pierre Bourdieu. Un sondage Sofres réalisé dans la foulée indique que 45 % des Français approuvent la visite, contre 32 %.

Les spécialistes estimeront avec le recul que l’audace de Yasser Arafat, mort en 2004, aura permis de tourner une page, celle du « refus d’Israël ». Mais le Hamas par ses agissements fera vite reculer la cause palestinienne.



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Author : Eric Mandonnet

Publish date : 2025-07-25 11:05:00

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